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à toutes leurs parties, je les accompagnai à la pêche, à la chasse, et restai confondu de leur adresse à tirer de l’arc. Ils tuaient des tourterelles et des perruches jusque sur les dernières branches des arbres les plus élevés. Un daim franchissait-il un sentier, ils l’abattaient d’un coup de flèche. Ce qu’il y avait de plus extraordinaire encore, c’était leur façon de pêcher : ils remontaient la rivière, les yeux fixés sur l’eau, leur arc et leurs flèches sous le bras gauche ; en une seconde, le paquet de flèches était à terre, une flèche barbue était mise sur l’arc, qui se détendait, et vous aperceviez aussitôt un poisson qui se laissait aller au courant, une longue flèche au travers du corps. Le sauvage ôtait sa chemise, se jetait à la nage, et rapportait sa flèche avec le poisson. Tout ceci durait le temps qu’il faudrait pour tirer deux coups de fusil. Plusieurs fois je suivis Tadeo pas à pas, mon fusil armé, m’efforçant de ne quitter des yeux ni l’eau ni les mouvemens du sauvage ; je voulais, pour l’honneur des armes à feu, cribler de plomb le premier poisson qui se montrerait à fleur d’eau. Ce fut chose impossible : ce diable d’homme avait décoché sa flèche et rapporté le poisson avant que j’eusse eu le temps de mettre en joue.

Les forêts voisines du hameau des Antis étaient remplies de divers animaux. Pendant les huit jours que je passai à Palotéqui, j’eus occasion de voir morts et vifs des singes, des daims, des sangliers de petite espèce, des ours, des tapirs, que les sauvages chassent au moyen d’une demi-douzaine de chiens maigres de race européenne. Il y avait aussi en grande abondance du gibier et des oiseaux, parmi lesquels je remarquai une espèce de dindon sauvage et un faisan noir d’un goût exquis. Ce que les chasseurs tuaient était apporté au hameau, préparé et ordinairement mangé en commun.

Comme les domaines des Antis bornent les terres des vallées du côté de Cocabambilla et du Yanatili, les propriétaires des haciendas limitrophes, afin de se ménager l’amitié de ces dangereux voisins, leur ont donné des vaches, des cochons, des poules, des canards, ce qui procure à cette peuplade un bien-être matériel que n’ont pas leurs voisins, les Chuntaquiros et autres tribus qui habitent les bords des nombreux affluens du Marañon.

Nous avons tous lu des récits de voyage dans lesquels il est parlé fort au long de l’extrême frugalité des sauvages. Les Antis, qui n’ont pas à lutter avec le froid, et qui ont des vivres en abondance, ne justifient guère cette opinion, assez généralement répandue. À une heure du matin, les femmes se lèvent, et mettent sur le feu des pots de terre remplis de légumes, dont les sauvages ont plusieurs sortes, telles que des camottes (pommes de terre douces), des yuccas, racine de la famille du manioc, qui n’a pas le suc vénéneux de celle qui croît dans nos colonies, des fèves, du maïs, des potirons, etc. Au