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du thé. Cet arbuste est de la famille du thé, avec lequel il a les plus grands rapports, non-seulement par la forme, mais encore par le goût. Il est difficile de distinguer, quant à la saveur, la coca du thé de Chine. L’arrobe (trente livres) se vend sur place de 5 à 8 piastres. La coca provoque une excitation nerveuse qui soutient l’Indien dans ses travaux, et lui fait oublier les fatigues, la privation ou l’insuffisance de nourriture. Hommes et femmes, tous mâchent la coca, qui, avec le manubi, leur gâte les dents et leur noircit les lèvres, chose dont ils s’inquiètent peu. L’Indien ne va jamais au travail, jamais il n’entreprend un voyage sans avoir suspendu à son col un sac de cuir, avec une poche pour la coca et une autre pour sa provision de maïs grillé ; avec cela, il peut aller loin.

Je dis à mon hôte de Guatquinia le motif de mon excursion et mon espoir de pénétrer à Choquiquirao. Il me représenta que la chose était à peu près impossible, à moins que l’on n’ouvrît un sentier dans les bois qui couvrent la pente des montagnes jusqu’à l’Apurimac, et nous convînmes que quinze travailleurs, dirigés par un Indien qui avait pénétré quatre années auparavant dans Choquiquirao, débarrasseraient la route des obstacles les plus gênans. Le propriétaire de Guatquinia eut la complaisance de se charger pour mon compte des détails de l’opération. Heureux de pouvoir disposer à mon gré des quinze jours nécessaires pour la mener à bien, je résolus de profiter de ce délai pour visiter la vallée de Santa-Anna et une mission qui est la dernière limite de la civilisation de ce côté des Cordillères, celle de Cocabambilla.

De Guatquinia à Santa-Anna, la route ou plutôt le sentier serpente sur les flancs de montagnes couvertes jusqu’à leur sommet de plantes et d’herbes épaisses : il y aurait là de quoi occuper des milliers de bras et nourrir des millions de bêtes à cornes ou à laine. Toutes les trois ou quatre heures, l’on rencontre une cabane faite de boue et de roseaux, avec son petit champ de maïs ; les bords du sentier sont garnis d’ananas exquis, venus là, comme le fruit du buisson qui les abrite, par la grace de Dieu. On longe la rive droite de la Vilcanota, rivière formée par les eaux des torrens qui descendent des nevaos de la Cordillère. Après neuf heures de marche, on aperçoit une vallée plus large que celle que l’on a côtoyée depuis Guatquinia : c’est la vallée de Santa-Anna, la plus riche et la plus peuplée des vallées à l’est des Andes ; les nombreuses haciendas que la vue embrasse à la fois et les cabanes d’Indiens qui s’élèvent du milieu des touffes de bananiers sont d’un joli effet. Le premier hameau que l’on rencontre est Uchumaïo ; plus loin, à une lieue, est la paroisse de Santa-Anna, avec son église et ses habitations rapprochées. La vallée, dans cet endroit, est large d’une demi-lieue ; les montagnes qui l’encadrent sont jusqu’à leur sommet couvertes