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scandaleusement travesties. Les abus auxquels elles donnaient lieu furent donc sévèrement condamnés au nom de la religion, de la morale et des intérêts de l’industrie ; de plus, par la force de cohésion qu’elles établissaient entre les classes ouvrières, en réunissant souvent plusieurs corporations dans une seule et même société mystique, en donnant à cette société une sorte de caractère religieux, les confréries devinrent une cause de troubles politiques. Habile à deviner tous les dangers qui, de près ou de loin, dans le présent ou dans l’avenir, pouvaient menacer le pouvoir, Louis XI tenta de placer ces associations pieuses sous la surveillance immédiate de la couronne, et ordonna, sous peine de la vie, à tous ceux qui en étaient membres, de ne se réunir en assemblées générales qu’en présence des officiers royaux. Les successeurs de Louis XI rendirent plusieurs ordonnances dans le même sens : elles furent éludées ; mais, comme les confréries, au milieu des agitations du XVIe siècle, ne servaient plus qu’à recruter les partis, après avoir essayé vainement de les réformer, on tenta de les dissoudre. Des édits d’abolition furent promulgués par François Ier en août 1539, par Charles IX en février 1566, par Henri III en mai 1579. Il en fut de ces édits comme des arrêts rendus par le parlement en 1498 et en 1500, comme de la décision du concile de Sens en 1524. Les associations religieuses des métiers, et surtout les désordres qu’elles entraînaient, étaient trop profondément enracinés dans les mœurs pour qu’il fût possible de les faire disparaître en un jour par un acte d’autorité souveraine. Malgré les tentatives de réforme, le mal persista long-temps. Les confréries, ainsi que le dit un écrivain du XVIe siècle, occasionnèrent, pendant les troubles, « beaucoup de folies, » et elles s’ajoutèrent comme une plaie nouvelle à des plaies déjà trop nombreuses.


VI. – PREMIERS ESSAIS DE REFORME DANS L’INDUSTRIE FRANCAISE.

Ainsi la charité chrétienne elle-même était frappée d’impuissance en présence des misères qui affligeaient notre vieille industrie et des abus qui la déshonoraient. La conscience de ces abus, cependant, ne pouvait échapper ni à ceux qui en étaient les victimes, ni aux hommes clairvoyans qui participèrent, depuis la révolution des communes jusqu’à la révolution de 89, à l’administration des affaires publiques. Aussi tous les documens qui se rattachent à notre histoire industrielle accusent-ils un sentiment profond de malaise et l’instinct confus de réformes qui, par malheur, ne commencent à être définies que dans les dernières années du XVIe siècle.

Déjà, en 1358, Charles V, alors régent, condamnait sévèrement les règlemens d’Étienne Boileau, en déclarant qu’ils étaient faits « plus en faveur et profit de chacun métier que pour le bien commun. » Charles VII et Louis XI, entre autres, essayèrent, comme Charles V, de corriger, d’améliorer, de refondre : ils favorisèrent l’établissement de fabriques, de manufactures, de foires ; mais, enfermés dans un cercle vicieux, ils ne changèrent en rien les conditions générales du travail. Ils sentaient le mal, cherchaient la cause, et la touchaient sans la voir. Ce ne fut qu’au XVIe siècle, au moment où l’économie politique, science nouvelle qui n’était point encore nommée, fit son avènement dans la société moderne, qu’on entrevit pour l’industrie d’autres lois que celles du monopole et du privilège, un autre régime que celui de l’exclusion.