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pour elle cette tendresse partiale qui peut exagérer les mérites, mais qui est seule capable de les bien révéler. Il connaissait toutes les ruines à visiter, savait la place de toutes les pierres celtiques, et, ce que j’estimais à un bien plus haut prix, n’ignorait aucun des usages ni aucune des traditions du pays. Quant aux notions pratiques, il les avait acquises par les nécessités mêmes de sa position.

Notre première promenade fut vers les salines. La côte qui court de Guérande à Saint-Nazaire est formée de terrains d’alluvion en général au-dessous du niveau des fortes marées. Les étiers reçoivent l’eau salée et servent ensuite de réservoirs pour la distribuer dans les marais. Tout l’art du saulnier consiste à promener cette eau par un dédale de compartimens, toujours moins profonds, dans lesquels l’évaporation s’accomplit, et à la conduire enfin jusqu’à l’œillet où se cristallise le sel.

Mon hôte me fit monter sur la plate-forme du clocher, d’où je pus embrasser d’un regard la contrée tout entière. Les marais avaient l’apparence d’immenses échiquiers, dont les cases pleines d’eau dormante miroitaient au soleil comme des plaques de nacre. Chacun de ces marais était encadré de routes aux berges verdoyantes, qui en dessinaient finement le contour. Du reste, rien qui pût arrêter la vue ou l’égayer ; ni colline, ni arbre, ni maison, pas même un tapis de trèfle en fleurs ou un champ de blé semé de coquelicots et de bleuets. Aussi loin que la vue pouvait s’étendre, l’œil ne rencontrait que cases régulières et sentiers à angles droits ; le paysage entier ressemblait à une gigantesque planche de géométrie. Au-dessus flottait une bruine irisée des couleurs de l’arc-en-ciel.

Là vit une race d’hommes sobres, intelligens, actifs, grace auxquels ce coin de terre paie au trésor un impôt de treize millions. Les saulniers sont seulement fermiers des satines, et doivent compte au propriétaire des trois quarts de la récolte. Afin d’éviter toute contestation, la récolte est reçue par un juré. Pendant l’hiver, les eaux pluviales mettent à l’abri de la gelée et du clapotement des vagues les frêles cloisons d’argile qui partagent le marais ; mais, vers le commencement du printemps, on l’assèche, on le nettoie, et la fabrication du sel commence. L’eau introduite dans les cobiers est deux ou trois jours à déposer ses cristaux sur la ladure ou sommet de l’œillet, d’où on les enlève immédiatement. Chaque récolte s’appelle une saulnaison. Les plus abondantes fournissent soixante kilogrammes de sel ; on les renouvelle pendant environ six mois.

Tout en me donnant ces détails, M. Content m’avait fait gagner la plaine, où nous trouvâmes les saulniers à l’ouvrage. Les chaussées de ceinture, connues sous le nom de bossis, étaient couvertes de mulons de sel déjà surmontés du toit d’argile qui devait les défendre contre les pluies de l’hiver. Régulièrement rangés autour de la saline, les mulons