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— Quel est donc ce rêve ?

— J’ai rêvé cette nuit que sept fois j’avais eu une soif ardente au milieu du désert et que sept fois, au moment de la satisfaire, Elizondo m’avait arraché des mains l’outre pleine d’eau. Ce rêve ne peut signifier qu’une chose, c’est que le traître aura comblé ou épuisé les sept citernes d’ici à Monclova, et qu’on nomme les sept Norias de Bajan.

Nous nous regardâmes Albino et moi, et celui-ci objecta que ce n’était pas par la soif qu’Elizondo voulait faire périr les chefs, puisque, selon toute apparence, il voulait les livrer vivans au gouverneur de Cohahuila. Le vieillard secoua la tête.

— Ce n’est pas par la soif certainement qu’on les fera périr ; mais, pour chercher l’eau dont elle aura besoin, l’escorte se débandera sept fois, et, dans l’une ou l’autre de ces occasions, les hommes d’Elizondo pourront s’emparer sans coup férir des chefs privés de leurs défenseurs.

Après nous avoir ainsi expliqué ses rêves, le vieillard continua de trotter silencieusement près de nous ; quoiqu’il ne parlât plus, je vis à je ne sais quoi dans sa contenance qu’OEil-Double ne nous avait pas tout dit.

— N’avez-vous rien rêvé de plus cette nuit ? lui demandai-je.

— Oh ! le reste ne doit guère vous occuper, cela ne regarde que nous, et votre vie n’est rien en comparaison des précieuses existences qui sont menacées.

— D’accord, mais cependant je serais bien aise de savoir ce qui ne regarde que nous.

— Eh bien ! reprit OEil-Double comme à regret, j’ai rêvé encore qu’avant d’être arrivé à la septième citerne, ma soif était apaisée comme par enchantement, puis je n’ai pas tardé à me voir galoper dans la plaine…

— Comment ! interrompis-je, vous vous voyiez galoper vous-même ?

— D’autant plus facilement, répliqua le vieillard d’un ton qui me fit tressaillir, que ma tête était restée derrière mon corps et le suivait des yeux dans la course.

— Et moi, OEil-Double ? demanda le contrebandier avec vivacité.

— Vous, je vous ai aperçu couché dans la plaine où mon corps galopait sans tête. Je ne sais, par exemple, si vous étiez mort ou endormi.

J’eus besoin, je l’avoue, de faire un effort pour raffermir ma voix et demander à mon tour au vieillard ce que j’étais devenu dans son rêve. — Vous, répondit-il, vous n’étiez pas avec Albino et moi dans ce moment-là.

Caramba ! dit Albino, tout cela n’est pas de bon augure ; et comment expliquez-vous ces dernières particularités ?