Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/665

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à vingt-six mille ames. Cette représentation n’avait eu lieu que deux fois auparavant : l’une pour Joseph II, l’autre pour Pie VII, lorsqu’il se rendit à Vienne. Si l’on n’eût été averti du temps par les costumes, on aurait pu croire à une résurrection romaine.

Insensiblement la lune s’était couchée, et le firmament, devenu plus foncé, s’arrondissait au-dessus de nos têtes comme un velarium immense, fixé dans l’éther par des myriades de clous d’or étincelans. Ces pans d’azur enluminés par le feu des étoiles, s’encadrant dans le vide des arcades, formaient comme autant de fonds mystiques sur lesquels la fantaisie pouvait évoquer les images des martyrs immolés jadis à cette même place, sur cette arène à quatre cent soixante pieds au-dessous de nous, où le regard plongeait comme dans l’entonnoir d’une colossale fourmilière ! Bizarre soirée, comme il s’en rencontre souvent en voyage, où tout est imprévu et contraste ! Passer dans quelques heures de l’échoppe de Polichinelle au cirque de Domitien, de ce grenier fait de planches vermoulues à cet entassement séculaire de marbre et de granit, sortir de ce bouge malsain où s’escrime un aigre violon à la lueur de quatre chandelles puantes, pour entrer dans ce Colisée en plein air où s’est joué le prologue du christianisme ! Que sont auprès de celui-là nos théâtres modernes ? Les salles que nous bâtissons, il suffit d’un incendie qui souffle pour les anéantir en un clin d’œil, et celle-là, le tremblement de terre n’a pu seulement l’entamer. C’est que ces Romains bâtissaient pour des siècles ; nous, si nous croyons nous être assurés du lendemain, nous n’en voulons pas davantage ; ils cherchaient le durable et l’éternel, nous n’aimons, nous, que les vicissitudes, et, jusque dans le gouvernement, le provisoire est notre lot !

Avant de quitter les arènes, je pensai à cette pazza per amore dont parle Chateaubriand, et j’appelai, incertain si l’ombre de cette jolie créature aux mules mignonnes, aux jupons courts, ne me répondrait pas. « Descendue des montagnes que baigne le lac célèbre par un vers de Virgile et par les noms de Catulle et de Lesbie, une Tyrolienne, assise sous les arcades des arènes, attirait les yeux. Comme Nina pazza per amore, cette jolie enfant, abandonnée du chasseur de Monte-Baldo, était si passionnée, qu’elle ne voulait rien que son amour. Elle passait les nuits à attendre et veillait jusqu’au chant du coq. Sa parole était triste, parce qu’elle avait traversé sa douleur ! »

Quartier-général du gouvernement militaire de la Lombardie, Vérone offre à l’étranger un mouvement continuel d’uniformes variés et pittoresques ; de l’aube au soleil couchant, les défilés ne cessent pas ; ceux-ci rentrent de l’exercice, ceux-là sortent pour la parade ; fantassins et cavaliers vont, viennent et se croisent, les uns et les autres cheminant, aux sons d’une musique qui n’a point de rivale sous le ciel. On ferait des lieues à suivre ces bandes instrumentales exécutant avec un entrain,