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pierre tirés presque tous des ruines romaines qui couvrent le sol dans un rayon de quatre mille mètres. Arrêtées entre les deux rochers par l’obstacle, les eaux se répandent sur les deux rives par deux canaux principaux portant dans tous les champs l’abondance et la fertilité. Lorsque, placé sur le petit pont d’où l’on fait manœuvrer les vannes, vous vous tournez du côté de la plaine, tandis que sous vos pieds vous entendez les eaux inutiles franchir la barrière et tomber avec fracas dans l’ancien lit, vos yeux découvrent un horizon immense, une plaine verdoyante, fertile, des collines qui se perdent dans la brume, et sur la droite, à huit lieues du Sig, les marais de la Macta et les dunes de sable se déroulant comme les mailles d’un filet. En 1841, les troupeaux des Garabas, nos ennemis, paissaient librement dans cette plaine, sous la protection des bataillons réguliers de Mustapha-ben-Tami ; mais le général de Lamoricière, qui venait de prendre le commandement de la division, ne devait pas les laisser long-temps en repos.

Dans le courant de décembre, un cavalier arabe se présenta aux portes d’Oran, demandant à parler au général. Amené au Château-Neuf, conduit en sa présence, il lui dit : — Je suis Djelloul, mon nom est connu dans le pays, et tous savent que je n’ai jamais reculé devant une vengeance. J’ai tué des hommes de tous les partis, en ce moment je viens de chez Abd-el-Kader, et je me rends à toi : prends ma tête ou mes services, la vengeance m’amène.

— Je prends tes services, dit le général ; je garde ta tête pour te punir, si tu me trompes.

— Écoute, reprit Djelloul, et tu croiras. Bou-Salem, le chef des Garabas, avait une fille, et je l’aimais. Je la lui ai demandée en mariage, et il me l’a refusée : alors j’ai juré vengeance sur lui et sur les siens. J’ai quitté Abd-el-Kader et suis venu vers toi pour mettre les Garabas dans tes mains. Je reste à tes ordres, et, lorsque l’heure du châtiment sera venue, je t’avertirai.

— C’est bien, retire-toi ; tiens ta parole, et tu seras récompensé.

— Le sang de Bou-Salem sera ma récompense.

Deux semaines se passèrent, et le général n’avait plus revu Djelloul. Un soir, il donne l’ordre qu’on le lui amène. On le trouva près de la porte de la ville, dans un café maure où il se rendait chaque jour.

— Et tes promesses, tu les as donc oubliées ? lui dit le général.

— Tu es bien impatient, reprit Djelloul ; je sais bien attendre, moi, et cependant ce n’est que ma vengeance que tu exécutes. Chaque nuit, je sors et je veille ; mais, quand la vingt-neuvième[1] sera venue, l’heure sera proche, et, s’il plaît à Dieu, je te guiderai suivant mes désirs.

  1. Nuit sans lune.