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partaient à fond de train, jaloux de se distinguer sous les yeux du chef redouté. « Je n’ai que deux ennemis, répétait-il souvent, Satan et El-Hadj-Abd-el-Kader. » Aussi sa joie fut grande lorsqu’au mois de juillet 1842, la colonne du général de Lamoricière quittant pour la première fois les terres de labour du Tell, son cheval foula ces plateaux du Serrssous qu’il n’espérait plus revoir. La colonne alla jusqu’aux Montagnes Bleues et bivouaqua au pied du piton de Goudjila, où Abd-el-Kader avait caché, comme dans une retraite inaccessible, les approvisionnemens dérobés jusqu’alors à nos recherches. Ceux de cette course racontèrent depuis que le vieux chef monta au sommet de la montagne, et que, semblable à un prophète des premiers âges, il chargea les vents de porter à son ennemi ces paroles : « Fils de Mahiddin, cette terre n’est pas écrite au nom d’un marabout comme toi, d’un homme de zaouia. La conquête l’a arrachée à ceux que j’avais servis toute ma vie ; cette terre est maintenant le bien de ceux dont le bras a su la prendre ; elle ne te reviendra pas, à toi qui ne l’avais que volée. De mon sang et de mes forces, j’ai aidé les Français à reprendre leur bien. Soldat, mon obéissance ne devait être donnée qu’à des soldats. Je les ai conduits jusqu’aux portes du Sahara ; la mort peut venir maintenant, car justice sera bientôt faite de ta vaine ambition. »

Quinze jours plus tard, le marghzen rentrait à Oran, et célébrait, au bruit de la poudre, les nouvelles noces de son chef. Depuis lors Mustapha se montra moins ardent. L’heure du repos semblait venue pour lui ; il chérissait sa jeune femme, et craignait de perdre cette vie qu’il avait prodiguée jusque-là. Vers le mois de juin 1843, il se trouvait pourtant encore à cheval à la tête de ses goums, et, par une razzia heureuse, tombait, avec la colonne du général de Lamoricière, sur les débris de la Smala que M. le duc d’Aumale venait de frapper. Tandis que le général de Lamoricière retournait à Mascara, Mustapha devait regagner la plaine de l’Illill par le chemin direct, en traversant le pays des Flittas. Les chevaux étaient chargés de butin ; la troupe marchait en désordre ; arrivé dans un passage difficile, elle fut attaquée par des Kabyles, et, comme Mustapha se portait du côté du danger, une balle inconnue le frappa. Il tombe ; aussitôt une panique s’empare de toute la troupe ; le cadavre reste à terre ; deux cavaliers seuls se font tuer en essayant de l’enlever ; chacun fuit, et il y en eut qui arrivèrent d’une traite à Oran, à plus de quarante lieues, semant l’épouvante sur leur passage. Dépouillé par des gens de la montagne, qui ne savaient pas quel était celui dont la mort leur livrait tant de richesses, le cadavre, étendu le long d’une broussaille, fut reconnu par un courrier d’Abd-el-Kader à une blessure reçue à la main lors de la bataille de la Si-Kah. La main et la tête détachée du corps furent portées à l’émir, qui ne pouvait se lasser de contempler le sanglant témoignage de la