Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bonne famille, qu’un homme (un brave garçon pourtant) avait séduite, trompée et abandonnée. Elle se mourait; le déshonneur avait tué sa mère, son père l’avait maudite, un de ses frères s’était expatrié, un autre gisait des suites d’un coup d’épée reçu du séducteur, qui n’avait pas d’autre moyen de réparer sa faute. Ayant vu ces effets de l’amour, je jurai de ne jamais me rendre coupable d’un crime si lâche, et de ne point charger ma conscience et ma vie du poids de tant d’irréparables malheurs; mais personne n’est assuré de sa seule force. Aidé par quelques restes de foi, j’allai chercher en Dieu le bouclier que je voulais avoir, et je me fis chrétien pour être honnête homme.

LA BARONNE.

Bravo! monsieur le comte, vous avez bien fait et bien dit, et vous me faites du bien. Si l’on vous rapporte que j’ai mal parlé de vous, ne le croyez pas. Vous avez en moi une amie. (Elle se lève.) Marquise, je m’en vais... Mais j’oubliais le but de ma visite. Prêtez-moi ce petit collier d’enfant que vous m’avez montré l’autre jour; je veux le faire copier pour une filleule. (La marquise sort.) Je vous le dis très sérieusement, comte, vous m’avez fait du bien, et je suis votre amie. Il est vrai qu’on nous abuse et qu’on nous perd, et qu’on nous jette dans de mauvais chemins où nous ne trouvons rien de ce qu’on a promis. Le bon chemin est le meilleur. Ça a l’air d’une bêtise, ce que je dis là; je suis troublée, mais je sais ce que je pense. Je ne vous ai pas fâché, n’est-ce pas? Vous ne m’avez point fâchée non plus, ni la marquise. Vous l’aimez, et vous avez raison; elle vous aime aussi...

LE COMTE.

Madame...

LA BARONNE.

Laissez, je ne le dis pas méchamment, et ce secret ne sera pas divulgué par moi. Elle deviendra une bonne chrétienne, et son exemple ne sera point perdu. Tenez, la voici. Elle a jeté une guimpe sur ses épaules et couvert d’un bonnet ses beaux cheveux. Ce bonnet s’allongera en voile de religieuse, ou plutôt en voile de mariée. Je serais étonnée qu’elle ou vous entrassiez au couvent. Adieu, ne m’oubliez pas. (Elle sort. Un moment après, la marquise retient.)

LA MARQUISE.

Cette bonne petite baronne est tout émue. Elle a plus de cœur qu’elle n’en veut montrer, (Silence.) Eh bien ! est-ce que la baronne a emporté la conversation?

LE COMTE.

Madame, vous savez maintenant quelles réflexions j’ai faites et quelles résolutions j’ai prises dans cette retraite de Bretagne où vous m’aviez envoyé. Je n’ai rien à ajouter, puisque me voici devant vous.

LA MARQUISE.

C’est donc à moi de parler. (Elle sonne Florence paraît.) Florence, je ne reçois point. Monsieur le comte, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention, et je vous ai parfaitement compris. Il faut vous répondre clairement, n’est-ce pas? et ce n’est plus le temps de vous désoler.