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LA BARONNE.

Monsieur le comte, ayons, s’il vous plaît, la précision du catéchisme. Qu’appelez-vous aimer ?

LE COMTE.

J’appelle aimer, madame, un désir très grand du bonheur présent et futur d’autrui…

LA MARQUISE.

Mais cela s’étend à tout le genre humain.

LA BARONNE.

J’allais le dire. Vous équivoquez, monsieur. Nous ne parlons pas de la charité, nous parlons de l’amour.

LE COMTE.

J’y viens, madame ; mais il faut que cet amour soit premièrement enraciné dans la charité et s’en élance, pardonnez-moi une phrase, comme la fleur brillante et pure de cette noble terre. À l’égard d’un homme, ce sentiment plus délicat et plus fort s’appelle l’amitié. Tous les hommes sont nos frères, il y en a un qui est notre ami. À l’égard d’une femme, c’est une servitude fière et profonde, et comme un don de soi-même où l’on ne réserve que ce qui est dû à Dieu.

LA BARONNE.

Ce qui est dû à Dieu, c’est tout. On le disait au couvent.

LE COMTE.

On disait bien. Mais de ce tout que nous lui devons. Dieu nous en rend assez pour satisfaire le cœur et même contenter l’ambition d’une pauvre créature. La femme qui veut être aimée plus que Dieu veut être aimée d’un drôle ou d’un sot, et elle n’entend pas ses intérêts, car le drôle la flétrit et le sot l’assomme. L’un et l’autre d’ailleurs, l’aimant de cette façon, n’aiment en réalité qu’eux-mêmes. Ils cherchent….. Mais nous voici sur le chemin du cabaret.

LA BARONNE.

Fuyons !

LE COMTE.

Je reviens sur mes pas, et je répète que l’amour, c’est tout simplement aimer, non pas soi, mais celle que l’on aime ; c’est vouloir qu’elle soit heureuse et parfaitement honorée, parfaitement assurée dans son bonheur ; c’est aimer en elle non-seulement une créature aimable, mais une ame immortelle, et qui paraîtra un jour devant Dieu pour répondre de tout ce qu’elle aura reçu et de tout ce qu’elle aura donné.

LA BARONNE.

Nous voici dans la théologie.

LE COMTE.

Je vous en supplie, madame, ménagez-moi ici. Ces pensées de l’immortalité de l’ame et du jugement, vous en êtes peu occupée, et vous avez pu en entendre rire plus d’une fois ; mais j’atteste qu’elles sont défendues contre les sages et les beaux esprits de votre intimité par beaucoup de bonnes raisons qu’ils ne connaissent pas. Remarquez, au surplus, que je parle de nos