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amour. Pareils à Lara, nous cherchons dans un autre amour les émotions premières de l’amour unique, et, en regardant le tendre et dévoué Kaled, nous nous souvenons de Médora.

Ainsi, par l’effet d’une double séduction, quand lord Byron se raillait des opinions et des croyances de son pays, il le scandalisait, mais en le soulageant ; et quand il idéalisait la fidélité dans l’amour, il le flattait dans une de ses prétentions les plus chères, car le sexe anglais croit volontiers que la Grande-Bretagne est la patrie de l’amour unique.

Le privilège des caractères romanesques créés par le génie, c’est d’être aimés par tout ce que l’auteur a de lectrices. Au XVIIIe siècle, toutes les jeunes filles à qui on laissait lire la Nouvelle Héloïse voulaient avoir Saint-Preux pour précepteur, et toutes les femmes regrettaient de n’avoir pas eu l’occasion d’aimer comme Julie, en se conduisant mieux. À Saint-Preux a succédé Werther, et combien de femmes qui ont envié à Charlotte le triste bonheur d’être aimées d’un homme capable de se tuer par amour ! Après Werther, ç’a été le tour de René de susciter dans toute l’étendue de l’empire français des Amélies éprises de son chagrin dédaigneux, de sa satiété avant d’avoir joui, de son mélancolique amour pour les ruines. Que de cœurs en Angleterre, de 1810 à 1821, n’ont pas fait secrètement leur choix entre Childe-Harold, Conrad, Selim, Hugo et peut-être don Juan ! Que de douces colombes qui ont rêvé de s’abriter sous la serre de ces fiers oiseaux de proie ! Le fiancé qu’on aimait était capable de leur courage, de leur mépris pour le danger, de leur fidélité à l’amour unique, et certainement il n’avait aucun de leurs vices. Cela même a dû servir plus d’un fiancé, sauf à nuire à plus d’un mari.

Quand l’auteur de ces créations est vivant, qu’il est jeune et noble ; quand il y a plus que de l’apparence qu’il s’est peint lui-même dans ses héros, c’est à lui que s’adresseront tous ces soupirs. Lord Byron en est un exemple éclatant. Je ne sais s’il est un poète pour qui plus de cœurs de femmes aient battu en secret. Vainement se défendait-il dans ses préfaces de toute ressemblance avec ses personnages, cette précaution n’y faisait croire que davantage ; car à quoi bon cet avis au public, s’il n’avait craint qu’on ne le reconnût ? Ce qu’on savait de lui, ce qu’on disait du moins, autorisait la confusion. Dans sa courte et orageuse vie, lord Byron joua tour à tour quelque partie des rôles de ses personnages. Ce contraste de l’extrême générosité et du mépris pour les hommes, c’est toute son histoire. Sur une pierre tumulaire qui ne recouvrait pas une cendre humaine, il osait écrire que le chien, vaut mieux que l’homme, et il sacrifiait à la cause de l’humanité personnifiée dans la Grèce esclave sa fortune, sa santé et sa vie.

Enfin on savait que, pour peindre l’extérieur de ses héros, il avait plus consulté son miroir que son imagination, et qu’il avait très bien fait. Bien des gens n’avaient pu voir sans admiration ce regard fier et