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privilèges. La science acquise par l’étude n’appartient qu’aux petits esprits ; la vérité devinée est la seule dont les poètes puissent s’enorgueillir. Jusqu’à présent, nous avions cru que Platon nous expliquait Socrate ; il faut renvoyer aux pédans cette absurde billevesée. Nous savons maintenant, par la préface adressée à Mlle Reine, que Platon, pour être compris du peuple d’Athènes, aurait eu besoin du secours de Socrate. Il reste bien encore une misérable objection : on peut se demander si Platon, en écrivant ses dialogues, voulait recruter ses lecteurs dans l’Agora, s’il n’exigeait pas de ses disciples, de ses auditeurs, des études préliminaires, s’il ne mesurait pas le développement de sa pensée, l’éclat de sa parole, la délicatesse de l’analyse et la splendeur des images à l’intelligence, aux exercices dialectiques de ses élèves. Étant donné le but que Platon se proposait, est-il permis de condamner le ton de sa pensée, le ton de son langage ? Pour admirer le Phédon, faut-il absolument y retrouver la naïveté du Bonhomme Richard ? Je ne sais pas comment Mlle Reine résoudra toutes ces questions, je ne sais pas même si elle prendra la peine de les poser. La mort de son moineau et les larmes qu’elle répand sur cette perte irréparable ne lui laissent guère le temps de songer à Platon. Tandis qu’elle arrange ses regrets en strophes éplorées, comment pourrait-elle se demander si la philosophie de l’académie est vraiment populaire, si le Phèdre et l’Alcibiade, le Gorgias et le Criton sont destinés à l’enseignement de la foule ? Après avoir pleuré son moineau, Mlle Reine reprend son ourlet ou sa broderie. Que Platon nous explique Socrate, ou que Socrate nous explique Platon, peu lui importe, et je ne saurais blâmer son insouciance.

Quoique le lecteur ne doive pas s’attendre à trouver dans la préface d’un roman un modèle d’érudition, cependant il est difficile de lire sans étonnement et même sans dépit les innombrables bévues qui émaillent la préface de Geneviève. Pour relever ces bévues, il n’est pas besoin d’avoir vécu pendant dix ans dans le commerce assidu des bénédictins. On trouverait sans peine sur les bancs mêmes du collége des censeurs capables de les montrer du doigt. Les historiens et les poètes de l’antiquité latine ne sont pas jugés par M. de Lamartine avec plus de clairvoyance et de sagacité que les historiens et les poètes de l’antiquité grecque. Tite-Live et Tacite, Horace et Virgile ne sont pas mieux appréciés que Socrate et Platon. L’Angleterre et l’Italie moderne sont condamnées avec la même légèreté, la même étourderie. À proprement parler, tous ces jugemens qui ne reposent sur aucun fait, qui ne peuvent se justifier par aucune preuve, ne sont qu’une longue table de proscription. Partant de cette donnée, très contestable assurément, qu’il faut créer pour le peuple une littérature entièrement nouvelle, dont il n’existerait, à son avis du moins, aucun modèle dans