Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bonheur ! — En finissant de parler, il s’évanouit aux pieds de Marie.

La jeune fille tomba à genoux en cachant dans ses mains sa figure couverte de larmes. Renée se baissa et souleva la tête du pauvre soldat. Ce mouvement de sa mère ranima les espérances de Marie ; elle écarta ses mains, et, sans oser fixer ses regards sur le visage décoloré d’Étienne. elle interrogea sa mère d’un coup d’œil plein d’angoisse.

— Il est mort !… dit-elle après un moment de terrible attente.

— Non ! non ! répondit la veuve, il respire encore. Lève-toi. Marie ; aide-moi à le transporter jusqu’à la maison et à le faire revenir de son évanouissement, puis tu iras chercher le père Martin : c’est un homme habile, qui s’entend aux blessures de toutes sortes. Il nous dira ce qu’il faudra faire.

Cette lueur d’espérance rendit à Marie toutes ses forces. Elle se leva, et les deux femmes, soulevant à grand’peine le corps inerte du soldat, le portèrent dans leur maison et l’étendirent sur le lit ; puis, à l’aide d’eau fraîche, de vinaigre, de tout ce qu’elles purent trouver autour d’elles, elles réussirent à le tirer de cet évanouissement causé par la perte de son sang, et qui ressemblait à la mort. Étienne ouvrit les yeux, vit Marie qui pleurait près de lui. et sourit faiblement en lui tendant sa main défaillante. La pauvre fille éclata en sanglots.

— Tu vas lui faire mal. dit Renée. Ne reste pas ici. Marie… Va chercher le père Martin, nous ne saurions pas à nous seules panser sa blessure.

Marie se dirigea aussitôt vers la porte avec une obéissance instinctive ; mais elle n’avait pas fait quatre pas, qu’une inquiétude nouvelle sembla la frapper.

— Que dirai-je au père Martin ? demanda-t-elle ; s’il sait que c’est un bleu, il refusera de venir le soigner, et peut-être il le dénoncera aux brigands.

— Dis-lui que c’est un des nôtres, répondit sa mère. Je vais lui ôter sa capote et la cacher ; le père Martin ne connaît pas Étienne, il ne devinera pas ce qu’il est.

Marie partit ; Renée se mit en devoir de faire disparaître tout ce qui aurait pu trahir Étienne : elle cacha dans un vieux bahut ses buffleteries. jeta derrière les fagots son sabre et son fusil, et lui ôta ses habits avec toutes les tendres précautions d’une mère. Elle allait poser dans le bahut les vêtemens souillés de sang qu’elle venait de lui retirer, lorsqu’une chaîne d’argent, pendant en dehors de la poche, frappa ses regards. Elle la saisit vivement, la tira à elle, et amena une lourde montre qu’elle ne reconnut que trop… la montre de son fils, celle qu’elle-même lui avait remise après la mort de son mari, et que la veille encore elle avait vue entre les mains de Jean. Elle laissa