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de la paix ou de la guerre générale. Dans ce moment solennel, le bon sens, nous pourrions dire le bon instinct du peuple suisse, prévalut sur toutes les autres considérations. Après deux séances secrètes, quinze états résolurent, le 18 avril, de ne pas entrer en matière. Ainsi tombèrent deux propositions, l’une d’ajournement faite par Genève, l’autre de Fribourg, qui demandait le renvoi de l’affaire à l’examen des gouvernemens cantonaux. Dans la discussion, les raisons de la majorité se résumèrent dans ce mot du député de Thurgovie, le docteur Kern : « La neutralité est non-seulement sur le papier, elle est dans le sang des Suisses. » Les avis d’une partie de la minorité, c’est-à-dire des députés de Vaud (MM. Druey et Eytel) et de ceux de Genève (M. Alméras et puis M. Fazy), portaient l’empreinte non équivoque de certaines doctrines de solidarité humanitaire et propagandiste qui ne tenaient aucun compte ni de l’individualité de la Suisse, ni de sa mission particulière. Le directoire communiqua la décision de la diète au chevalier Racchia par une note où on lit cette phrase significative : « La confédération suisse s’est imposé la tâche d’observer une neutralité consciencieuse et stricte au milieu du grand drame des nations. »

Le duc de Litta, qui vint peu de temps après à Berne dans l’intérêt des Lombards, n’eut pas plus de succès. Au contraire, dans sa séance du 13 mai, la diète prit une mesure plus énergique encore. Les gouvernemens provisoires de la Lombardie et de Venise s’efforçaient de lever des corps de volontaires en Suisse. Un agent du gouvernement lombard, M. Prinetti, avait même arrêté des conditions de service avec un Vaudois, M. Borgeaud, major du génie. Sur la proposition d’une commission, la diète décréta : « Les cantons sont invités à prendre les mesures nécessaires afin d’empêcher sur leurs territoires l’enrôlement de volontaires pour un service étranger non capitulé et la formation de corps armés destinés à porter des secours à l’étranger. » Le décret pouvait d’autant moins empêcher tout enrôlement, que plusieurs gouvernemens cantonaux montraient du mauvais vouloir, ou, pour ne pas trop dire, de la négligence à l’exécuter ; mais il restreignait les enrôlemens qui allaient se faire publiquement à des tentatives clandestines vis-à-vis d’individus isolés : il leur ôtait par là le caractère public qui aurait pu mettre en question les décisions prises précédemment pour le strict maintien de la neutralité.

Les autorités fédérales envoyèrent presque en même temps des troupes dans les Grisons, pour mettre le territoire de ce canton à l’abri de toute violation de la part des deux parties belligérantes dans la Haute-Italie. De pareils actes semblaient ne devoir mériter à la Suisse que l’estime et l’amitié des puissances voisines. Un historien de la révolution de février ne semble pas cependant en avoir compris le vrai