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reste ce que l’auteur de l’Enseignement du Peuple appelle le christianisme universel. Christianisme, soit ! Mais n’apercevez-vous pas déjà la figure ironique de M. Proudhon se penchant vers M. Quinet, l’attirant et lui faisant accueil comme à un hôte bienvenu dans son camp ? La révolution de 1848, aux yeux de l’auteur d’Ahasvérus, n’avait point de sens, ou elle impliquait l’idée de cette émancipation de l’autorité religieuse et de la proclamation de sa propre infaillibilité spirituelle. Aussi est-ce chez M. Quinet une pitié et une stupéfaction profondes lorsque, peu de jours après février, assistant à la plantation d’un arbre de la liberté, il aperçoit… quoi ! un homme en surplis donnant ainsi le baptême à la révolution. « O sublime ironie de la Bible, dit l’auteur, je te savourai ! » Il faut voir comme M. Quinet rudoie ces républicains de peu de foi qui livraient la révolution, qui invoquaient les prières de l’église et s’arrêtaient même devant une loi de divorce. Il y aurait bien quelque chose à dire en faveur de ces tristes révolutionnaires qui n’allaient pas au bout de leurs pensées et n’avaient pas la logique de leurs passions : c’est qu’ils voulaient vivre et jouir de leur fortune heureuse, et que ce n’était point trop de tous les appuis pour les tenir au niveau où un coup de main les avait portés. Il y a une raison plus sérieuse, c’est que les hommes sont souvent les instrumens involontaires de mouvemens dont ils n’ont pas le secret, et obéissent à une impulsion qui les dirige vers le but le plus opposé à leurs voeux. Un des plus curieux problèmes que soulève la crise de 1848, c’est celui-ci : étant donné une révolution accomplie en apparence dans le sens de certaines idées, comment se fait-il que le premier usage que ce peuple délivré fait de sa liberté soit pour réagir contre ces idées mêmes ? Le problème est ardu, et M. Quinet en désespère. Un goût invétéré de servitude volontaire peut seul, à ses yeux, donner la raison de ce phénomène. Une explication plus naturelle s’offre pourtant à l’esprit : c’est qu’une société peut bien avoir des momens d’oubli ; elle peut pousser la folie de la sécurité au point d’assister à sa propre déroute comme à un spectacle rare : qu’elle se réveille meurtrie et menacée encore, qu’elle sente l’effort violent tenté de toutes parts pour lui arracher ses croyances religieuses, ses croyances morales, ses croyances politiques, cet effort même lui révélera la place qu’occupent en elle ces réalités fécondes, et elle s’y rattachera avec une sorte d’énergie fébrile ; elle revendiquera ces notions auxquelles elle n’a pas su épargner un humiliant échec. C’est ce que l’auteur de l’Enseignement du Peuple qualifie de servitude volontaire : dernier mot de l’orgueil des sectaires déçus dont les sociétés bafouent les rêves !

C’est, à tout prendre, un christianisme révolutionnaire très libre que celui de M. Quinet. S’il a des affinités avec M. Pierre Leroux, il va d’autre part rejoindre M. Proudhon, en conservant une teinte d’originalité propre née de l’habitude de tout transformer en poésie et de se servir d’une langue qui n’est point celle des distributeurs vulgaires de surexcitations. Otez ce langage, l’Enseignement du Peuple ne contient autre chose que le fonds commun de toutes les prédications socialistes. Quelles conséquences particulières se déduiront des doctrines de M. Quinet quant à l’éducation publique ? C’est qu’il faut que la révolution s’affirme dans son enseignement comme dans sa politique, comme dans ses institutions sociales. Qu’est-il besoin du prêtre dans l’école ou dans