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arts et des sciences, capitale du monde civilisé. Il y a moins d’un siècle que vos philosophies y étendent leur empire. Là ont vécu et sont morts, là vivent encore vos grands hommes ; là a retenti votre voix avec le plus d’éloquence ; là vous avez fait en grand vos essais, et ce que vous ne pouviez réaliser par la persuasion, vous l’ayez tenté par la force des armes ; là la guillotine vint à l’appui des argumens et le bruit du canon à l’appui des clameurs de votre presse ; là vous avez triomphé. Qu’avez-vous fait de cette société ? En quoi avez-vous converti ce grand peuple ? Faut-il lever le voile qui couvre l’ignominie de vos œuvres ? Nous nous contenterons d’un seul fait qui est public et dépose d’une manière accablante contre vos systèmes : c’est qu’à Paris le tiers des enfans qui naissent ne sont point de légitime mariage… » Objectera-t-on comme un suprême argument, que les théories mystico-révolutionnaires contiennent le mot de l’élévation progressive du niveau humain et résolvent le problème de montrer l’homme dans l’éclat de sa souveraineté et de sa dignité ? Qu’on observe un moment quelques faits : entre Jean-Jacques mettant ses enfans à l’hôpital, sauf à écrire ensuite des traités d’éducation, et l’homme qui ne se tient quitte d’aucun devoir, qui pratique les mâles et simples vertus de la lutte contre ses passions, où est la plus belle empreinte humaine ? Entre cet Américain qui va chaque jour en avant dans le désert, travaillant et priant, aidant au besoin le nouvel émigrant qui arrive, et cet adepte des banquets socialistes qui revêt l’ardeur de ses convoitises de quelques phrases mystiques sur l’égalité et la fraternité, quel est celui qui honore le plus le nom d’homme ? Là, en réalité est toute la différence entre le christianisme révolutionnaire et le christianisme vrai, efficace et pratique.

Le livre de M. Quinet, l’Enseignement du Peuple, touche évidemment, bien que sous un titre spécial, à toutes ces questions. C’est le fruit d’un de ces esprits surexcités par le rêve, par l’habitude d’une sorte d’hallucination mystique, et qui arrivent à faire assez bien danser au bout d’une phrase ces mots de révolution et de christianisme bizarrement accouplés. M. Quinet est la triste victime du christianisme révolutionnaire ; il l’a prêché, il en a été l’apôtre, il est descendu dans ses profondeurs, et il y a laissé son talent, — ce talent qui a eu des momens d’éclat et de vigueur saine, quand il écrivait quelques-uns des fragmens d’Allemagne et Italie ou l’essai sur la Vie de Jésus par Strauss. Quelles sont au fond les idées de M. Quinet ? Je ne suis pas bien sûr que ce soient des idées ; ce sont des instincts, des lueurs d’imagination qui s’échappent, des semblans de profondeur qui se révèlent. Honnête nature d’ailleurs, qui est dans une forêt de Bondy et qui se croit encore dans une poétique forêt d’Allemagne ! Une religion est-elle un élément essentiel de la vie sociale selon l’auteur d’Ahasvérus ? Cela serait présumable d’après une de ses théories particulières sur la nécessité imposée aux peuples d’asseoir leurs révolutions politiques sur des révolutions religieuses. Seulement M. Quinet avoue avec candeur l’incurable inaptitude de la France à cette fabrication périodique de religions ; c’est là un de nos plus faibles côtés. Et alors que nous propose-t-il candidement, sérieusement ? Il nous propose de nous débarrasser de toute religion, de nous faire le peuple libre, progressif, révolutionnaire, réalisant la liberté, l’égalité, la fraternité, en dehors de tout culte, — le peuple-dieu, comme disait Anacharsis Clootz. C’est au