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par son zèle et son audace à porter aux insurgés des munitions et des vivres. Un certain nombre des îles de l’archipel des Thousand-Islands appartient en propriété à Bill ; il y possède toute une flottille de bateaux de formes diverses. Son embarcation favorite est une galère à huit rames qu’on peut à volonté gréer en goélette, et dont un forban des Cyclades envierait la grace et la légèreté. Dans son existence indépendante, cet homme étrange représente le dernier des out-laws, de ces aventuriers indisciplinés qui, pour venger un tort personnel, déclaraient la guerre à leur propre patrie.

À l’endroit même où commence le Saint-Laurent, au-delà des premiers rapides et à l’entrée du lac Ontario, est placée la ville de Kingston. Il suffit de jeter les yeux sur la carte pour comprendre l’importance militaire de cet établissement, fondé en 1783 par les Anglais[1] ; sa position le destinait à être le pendant de Québec à l’extrémité opposée du Saint-Laurent, le point fortifié qui commande le Haut-Canada et le port de guerre du lac Ontario. Là furent construits les bâtimens, là reposent encore sous les chantiers couverts de l’arsenal les restes de l’escadre que l’Angleterre entretenait sur cette petite mer pendant ses longues guerres avec les États-Unis. Afin d’éviter les rapides du fleuve et le voisinage trop rapproché de la rive américaine, le gouvernement anglais a relié Kingston avec Montréal par un canal qui communique à la rivière Ottawa, magnifique travail qui n’a pas coûté moins de 25 millions de francs. D’imposantes fortifications entourent la ville ; rien n’a été négligé pour mettre à l’abri d’un coup de main cette capitale des lacs qu’un pont de glace soude fatalement au territoire américain pendant les grands froids. En 1840, quand le parlement des Canadas-Unis (United-Canadas) se réunit pour la première fois à Kingston, on n’y comptait encore que six mille habitans ; la population a considérablement augmenté depuis cette époque. Les émigrans qui font route vers le Far-West passent tous par cette ville, et beaucoup y achètent les ustensiles nécessaires à leur nouveau genre de vie. Cet établissement est devenu comme l’entrepôt de toutes les denrées du pays, et le commerce y a pris un développement remarquable. Si le port de guerre a perdu toute activité, le port marchand, au contraire, se remplit de bateaux à vapeur et de navires à voiles de cent à deux cents tonneaux, dogres et goélettes à la mâture élancée, condamnés à naviguer sur une mer d’eau douce qui n’a pas plus de trois cents milles de tour, et qui pourtant éprouve des tempêtes comparables à celles de l’Océan.

Les environs de Kingston, du côté du Saint-Laurent et de l’Ontario se recommandent par une foule de sites délicieux : c’est une série de vues marines encadrées dans un paysage agreste ; mais le pays, dans

  1. L’avantage de cette position n’avait point échappé aux Français ; ils y avaient bâti le fort Frontenac.