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s’ils n’avaient été du moins aussi colorés que ceux qu’il professait en 1845 ? L’homme n’a pas changé, puisque la couleur est restée ! Qu’importe sur quoi elle s’applique ? « Sachez-le, penseurs ! s’écriait M. Hugo en janvier 1845, depuis quatre mille ans qu’elle rêve, la sagesse humaine n’a rien trouvé hors de Dieu. Parce que, dans le sombre et inextricable réseau des philosophies inventées par l’homme, vous voyez rayonner çà et là quelques vérités éternelles, gardez-vous d’en conclure qu’elles ont même origine, et que ces vérités sont nées de ces philosophies. Ce serait l’erreur de gens qui apercevraient les étoiles à travers des arbres, et qui s’imagineraient que ce sont là les fleurs de ces noirs rameaux. » Guitare, toujours guitare ! On ne saurait d’ailleurs reprocher à M. Hugo de n’être par conséquent jusque dans ces semblans d’inconséquence ; lorsqu’il détonne, c’est sur toute la gamme. En 1839, il disait de Voltaire :

Voltaire alors régnait, ce singe de génie,
Chez l’homme en mission par le diable envoyé.
..........
Oh ! tremble ! ce sophiste a sondé bien des fanges !
Oh ! tremble ! ce faux sage a perdu bien des anges !


En 1850, le nom de Voltaire est pour le poète orateur « l’un des plus grands de la France et de toutes les nations, » et quiconque ne lui rend pas le même hommage est associé dans un commun anathème avec le jésuite Loyola et le jésuite Nonotte. Je doute que Nonotte eût inventé contre son malicieux adversaire ce terrible surnom de singe qui dut ravir M. Victor Hugo le jour où il le trouva sous sa plume dans l’entrain de ces vers mémorables :

O dix-huitième siècle, impie et châtié !…
Monde aveugle pour Christ que Satan illumine…,
Honte à tes écrivains devant les nations !…
L’ombre de tes forfaits est dans leur renommée.

Il y a des gens de mauvaise humeur qui déclarent que ces apparences de contradiction morale sont une atteinte fâcheuse pour le caractère d’un homme public : moi qui suis plus impartial et qui ai conservé plus d’égalité d’ame, vous avouerai-je ce que j’en pense ? Ce sont de belles variantes, et Olympio est un grand poète, après quoi j’aurai bien dis malheur si je me brouille avec lui.

Je tiens au contraire à me rendre cette justice, que j’ai fait dans tout ce qui précède comme fait dans les Voix intérieures l’ami d’Olympio.

… L’ami qui reste à son cœur qu’on déchire,

Je me suis approché « de ses jours orageux et sublimes » pour y voir les abîmes qu’on y voit en se penchant dessus.