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des masses. Mais le conseil général a rejeté le principe de la retenue obligatoire ; on n’a pas eu de peine à prouver que cette retenue prendrait bientôt le caractère de l’impôt le plus odieux, qu’elle obligerait à une inquisition impossible dans les rapports du maître et de l’ouvrier, et qu’il valait beaucoup mieux laisser aux chefs des grandes entreprises industrielles le soin de régler eux-mêmes avec leurs ouvriers cette question délicate dans une parfaite indépendance réciproque.

Jusque-là, le conseil général avait été d’accord avec les propositions du gouvernement et de la commission ; un dissentiment grave s’est fait jour plus tard dans la discussion sur deux points importans. Le gouvernement et la commission avaient proposé, pour encourager les versemens dans les caisses de retraite au début de l’institution, de consacrer 2,500,000 francs à cent mille primes de 25 francs chacune, qui seraient données aux plus âgés des déposans après un versement de 75 francs. Le conseil général a vu dans cette concession de primes un précédent fâcheux, et il s’est prononcé contre, malgré les efforts de la commission. Le gouvernement et la commission avaient proposé aussi de fixer à 600 fr. le maximum de la pension de retraite. Le conseil a pensé qu’une pension de 600 francs sortait de la catégorie des retraites qu’il s’agissait d’établir, que ce serait beaucoup plus une retraite de bourgeois qu’une retraite d’ouvrier, et que l’institution se trouverait ainsi dénaturée dans son principe, en attirant d’autres versemens que ceux des ouvriers proprement dits ; en conséquence, il a réduit le maximum de la pension à 360 fr. Après avoir ainsi ramené la retraite aux proportions d’une pension strictement alimentaire, il n’a plus fait aucune difficulté pour déclarer que cette pension devait être incessible et insaisissable, ce qui aurait soulevé des objections justement fondées dans le cas où elle aurait excédé cette limite. C’est surtout à des observations présentées par M. Charles Dupin avec une grande force de conviction que cette double décision a été due.

On dit que le gouvernement regarde son projet comme bouleversé et détruit par ces deux amendemens. Nous avons peine à le croire. Le principe d’une caisse de retraite pour les ouvriers, administrée par l’état, a été admis ; là est le point essentiel. La question des primes et celle du maximum n’étaient qu’accessoires. Pour notre compte, sans partager complètement les craintes exagérées présentées par M. Charles Dupin, nous ne pouvons qu’approuver la sage réserve dont a fait preuve le conseil général. Il est à désirer, dans l’intérêt même de l’institution, qu’elle soit renfermée dans de justes limites. Il y aurait assurément quelque chose d’excessif à encourager par une prime de 33 pour 100 des versemens faits, après tout, à la condition d’un intérêt de 5 pour 100 par an, et, quant à la limitation du maximum, elle est commandée aussi par les considérations les plus légitimes. Que l’état