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La plantation des nouvelles boutures du djéhri se fait au mois de mars, la récolte au mois de juillet. Le djéhri peut résister à un froid très rigoureux sans réclamer l’usage d’aucune protection artificielle ; aussi cette plante prospère-t-elle parfaitement à Kaïsaria, où pendant l’hiver le thermomètre descend fréquemment jusqu’à 15 degrés au-dessous de zéro[1]. Dans l’état normal, un arbuste donne 60 oks de fruits frais ou bien 30 oks de fruits secs, mais on ne parvient le plus souvent à en récolter que 1 ok seulement ; aussi, en moyenne, sur dix arbres, il y en a six qui ne donnent rien. Kaïsaria, avec sa banlieue, produit annuellement 350,000 oks (environ 400,000 kilogrammes), ce qui, en évaluant l’ok à 20 piastres seulement, représenterait un capital de 700,000 piastres. Or, le montant de la récolte aurait dû être à peu près de 10,500,000 oks (représentant une valeur de 210,000,000 piastres), si l’on avait pu découvrir un moyen de faire parvenir à leur maturité la totalité des fruits, résultat qui ne pourra être obtenu qu’à la suite d’une étude longue et consciencieuse faite sur les lieux par un botaniste pratique versé dans la chimie organique. Il est d’autant plus à désirer que l’on cherche à garantir contre de telles vicissitudes la culture du djéhri, qu’un avenir brillant est promis au commerce de cette plante : l’ok du fruit ainsi nommé se vend déjà dans la péninsule anatolique à raison de 20 à 25 piastres le kilogramme, et la demande pour l’Europe est si considérable, qu’on est partout tenté d’abandonner les autres branches d’agriculture pour se consacrer à cette lucrative production. La plus grande quantité des fruits du djéhri est expédiée à Snnyrne ou à Samsun, d’où on l’exporte en Europe et particulièrement en Angleterre. Toujours préoccupée d’explorer et de monopoliser à son profit les sources industrielles cachées dans le sein de cet Orient qu’elle connaît mieux que personne, l’Angleterre entretient un consul à Kaïsaria, qui, indépendamment de sa mission politique, a pour tâche spéciale de favoriser l’écoulement du djéhri vers les Iles britanniques. Cette tache est d’autant plus facile qu’à Kaïsaria, comme dans presque tout l’Orient, les agens anglais ont,le champ libre, et qu’il leur suffit de prendre position sur un point du pays pour écarter tous les concurrens.

L’élève du bétail se rattache encore à l’industrie agricole, et, parmi les produits de cette industrie dans l’Asie Mineure, je dois citer la chèvre d’Angora. Cette variété, éminemment locale, ne se retrouve dans aucune autre contrée. La laine longue et soyeuse de la chèvre d’Angora jouit depuis long-temps d’une légitime célébrité, non-seulement en Europe, mais aussi en Orient. Cette chèvre habite une région assez circonscrite, comprise entre la rive occidentale du Kizil-Errnak

  1. On pourra s’en convaincre par des tables météorologiques qui, sous ma direction, se font à Kaïsaria par les soins du consul d’Angleterre, et qui présentent déjà une série non interrompue de seize mois d’observations.