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les prières s’y font régulièrement selon la vraie loi ; mais (ajouta-t-il tout bas), si madame ne veut pas y assister, on fermera les yeux. »

La variété, la liberté, la tradition, règnent donc en Amérique dans la sphère religieuse comme dans la politique et dans les mœurs. Le fractionnement libre des sectes protestantes, subdivisées elles-mêmes en sections de sectes qui ne cessent pas de se morceler à leur tour, y réalise dans toute son étendue la prédiction de Bossuet[1]. Les méthodistes comptent 1,200,000 communians et 7,009 ministres ; le nombre des baptistes est un peu moindre ; les presbytériens ont à peu près 350,000 communians et 3,000 ministres ; les congrégationalistes, 200,000 communians et 1,800 ministres ; les luthériens évangéliques, Allemands la plupart, 145,000 communians et 7,500 ministres ; les épiscopaux, 80,000 communians et 1,300 ministres ; les universalistes, 60,000 communians et 700 ministres. Ce sont les presbytériens, conservateurs de la sévère tradition puritaine, qui, malgré leur infériorité proportionnelle, l’emportent en richesse et en talent comme en influence ; les baptistes et méthodistes se distinguent par un zèle ardent, souvent excessif.

Le mouvement catholique de ce grand pays mérite surtout d’être étudié. Repoussés d’abord par le sentiment général des colons anglais et calvinistes, les émigrans catholiques qui donnèrent au Maryland le nom de leur reine Marie Tudor, et à leur capitale celui de lord Baltimore, n’ont pas cessé pendant un siècle de se tenir sur la défensive ; cependant le principe même du calvinisme et le principe d’indépendance germanique s’élevaient en leur faveur et les protégeaient dans leur isolement. Ils comptent aujourd’hui 900 prêtres, 850 églises, plus de 1,750,000 communians. Non-seulement leur nombre atteint presque celui de la secte protestante la plus florissante, mais dans toutes les grandes villes ils forment une puissante congrégation, des districts ruraux considérables sont sous leur loi, et la vallée du Mississipi, dont la population sera double dans un demi-siècle de celle des états protestans du nord, ne peut manquer de leur appartenir. Déjà les sœurs de la charité sont à l’œuvre dans le désert, les dix-neuf vingtièmes de la vallée sont semés de chapelles, la croix est suspendue aux branches des vieux arbres, et la messe est célébrée par les missionnaires sous les ombrages séculaires. À Saint-Louis comme à la Nouvelle-Orléans, les meilleures maisons d’éducation pour les jeunes personnes sont catholiques, et l’on voit se continuer sur une immense échelle cette conciliation du dogme catholique avec l’indépendance personnelle, et l’énergie sociale que les régions du midi de l’Europe ont eu le tort irréparable de, ne pas favoriser.

  1. Histoire des Variations, etc.