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persévérance ; toute association est une gêne, il a donc du dévouement. Le vieil esprit teutonique et chrétien ne cesse pas de pousser ses racines et ses rameaux, avec la vigueur du chêne qui est son emblème. Si Londres et Whitehall réglementent le sol et font des lois, c’est la tradition qui, en dépit des lois même, organise la communauté, non pas la république des anciens conquérans grecs et des patriciens romains, mais le commonwealth (richesse commune) des hommes du Nord, mot qui n’indique pas le capital en numéraire, mais le bien-être (weal, well-being), le bien de tous. Cette république-là était partout dans les provinces gouvernées par des chartes, et qui élisaient leurs gouverneurs, leurs juges et leurs députés ; dans les provinces qui relevaient nominalement de la couronne, et qui élisaient les membres de leurs corps législatifs ; enfin dans les provinces appartenant à des propriétaires par concession royale, lesquels avaient beau vouloir annuler ou modifier les résultats de l’élection : ils avaient le dessous. En définitive, un seul esprit, une seule ame, vivaient dans ces trois subdivisions de l’établissement politique aux États-Unis. Tous les colons voulaient se gouverner et se gouvernaient. Dès 1643, sous Louis XIV, une ligue offensive et défensive des colonies fut formée ; elles envoyèrent chacune deux commissaires au congrès de la confédération. Enfin, en 1776, la charte accordée à Rhode-Island, charte toute républicaine, compléta ce travail conforme aux vieilles affinités de la race. La métropole, soumise aux corporations du moyen-âge, pouvait-elle affaiblir dans ses colonies son propre ressort, l’esprit libre de ces corporations ? Nous avons dit ailleurs[1] quelle part importante Shaftesbury et Locke son ami prirent aux destinées politiques des colonies ; les lois méditées par Loche, dictées par son esprit de tolérance et de liberté raisonnées, sont restées en vigueur jusqu’en 1842, et toute la constitution républicaine de cette partie de l’Union date du philosophe ami de Guillaume III.

J’ai dit que l’on était pauvre. Le père et le grand-père de Franklin recevaient encore en paiement ces coquillages tournés et travaillés qui servaient aux échanges, faute d’espèces. Le peu de numéraire métallique apporté par les premiers émigrés sur leur navire la Fleur-de-Mai n’avait pas tardé à reprendre le chemin de la métropole, qui vendait cher ses produits. De nouvelles émigrations y suppléèrent quelque temps ; bientôt l’argent manqua. Il fallut payer avec du blé, de la farine, des bestiaux, même avec ses meubles et sa maison, si l’on avait des dettes. Une loi spéciale déclara que l’appréciation des objets vénaux et leur valeur relative seraient fixées par l’arbitrage de « trois personnes intelligentes, » l’une choisie par le débiteur, la seconde

  1. Études sur le dix-huitième siècle en Angleterre Ier volume. Voyez la Revue des Deux Mondes, B. Franklin, 1er juin 1841.