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M. de Lamartine n’a pas été heureux dans cette discussion de la loi sur la déportation. Une première fois, il avait été forcé de descendre de la tribune au milieu de l’indifférence de l’assemblée ; une seconde fois, il a parlé sans beaucoup plus de succès. La première fois, il avait choqué le sentiment d’ordre et de justice qui règne dans l’assemblée en réduisant les crimes politiques à n’être que des événemens heureux ou malheureux, selon le hasard et le temps. La seconde fois, il ne l’a pas attendrie en lui parlant des femmes et des enfans des déportés qui allaient être séparés pour jamais de leurs maris et de leurs pères : et d’abord l’assemblée n’interdit pas à la femme et aux enfans du déporté, de le suivre, s’ils le veulent ; mais elle n’impose pas au gouvernements comme le voulait M. de Lamartine, l’obligation de transporter la femme et les enfans du déporté. Puis, ce qui a déplu à l’assemblée, ce sont ces élans de sensibilité de M. de Lamartine à propos de la famille des déportés : n’y a-t-il que les déportés qui aient une famille ? Et les citoyens qui, en luttant contre ces insurgés dont la défaite a fait des déportés, ont perdu la vie, n’avaient-ils pas aussi une famille ? N’y a-t-il pas là aussi une douloureuse séparation ? Songeons-y donc un peu, de grace ! Enfin, pour dire à M. de Lamartine toute notre pensées il y a eu un jour dans sa vie où il a perdu le droit de s’attendrir sur une femme et sur un enfant ; c’est le jour où il a eu une femme héroïque et un enfant innocent en face de lui, presque dépendans de lui, et où il a méprisé la muette supplication que faisait leur présence. Ce souvenir-là glace les cœurs contre lui, et l’émotion qu’il n’a pas eue ce jour-là contredit toutes les émotions qu’il voudra avoir ou inspirer désormais. Une vive allusion faite par M. de Mornay à ce douloureux souvenir a ému l’assemblée. M. de Mornay a acquis le droit d’émouvoir le jour même où M. de Lamartine l’a perdu.

Le pape est rentré à Rome au milieu des acclamations enthousiastes du peuple romain et du respect empressé de nos soldats. Voilà l’œuvre de notre expédition accomplie, et cette œuvre a pris toute la signification que nous voulions lui donner par le retour du pape à Rome, sous la protection ou tout au moins avec la présence de l’armée française. On disait beaucoup que tant qu’il y aurait un soldat français à Rome, le pape n’y rentrerait pas. Et pourquoi cela ? Était-ce répugnance de la part du pape à rencontrer ses plus décidés protecteurs ? À Dieu ne plaise ! Qu’était-ce donc alors ? C’est que, disait-on tout bas, l’armée française représente le libéralisme, et la restauration du pape ne doit participer en rien au libéralisme. À ce compte, la seconde phase de la papauté de Pie IX devrait démentir complètement la première. C’est là ce qu’on veut et c’est pour cela aussi qu’on ne voulait pas que le pape retrouvât à Rome ses défenseurs libéraux. L’absence de la France au jour de la rentrée du pape était le premier acte de la politique qu’on veut faire adopter par le pape. Fort heureusement, le pape et la France ont résisté à cette petite intrigue absolutiste, et le drapeau tricolore français a salué le pape au Vatican, mais le drapeau tricolore, emblême du libéralisme français qui est l’adversaire irréconciliable du radicalisme. Voilà ce que la France représente à Rome, et son expédition, en faveur du pape a été la plus solennelle et la plus éclatante protestation de la démocratie contre la démagogie. Quand la monarchie de juillet faisait l’expédition d’Ancône, elle marchait dans le sens même de son origine, et elle était à son aise pour le faire, car à Rome, en ce moment, il n’était question que d’améliorations