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— Herbert, dit la jeune fille en baissant la tête vert son ami, Herbert, ne soyez pas si triste ! Nous avons, l’un et l’autre, trop de jours à vivre encore pour les vivre dans le malheur, Herbert, des temps meilleurs viendront.

— Christine, ils m’ont refusé votre main, ils m’ont fermé la porte de votre demeure, ils veulent nous séparer, ils y réussiront, demain peut-être !…

— Jamais !…. s’écria la jeune fille, et son regard brilla comme l’éclair ; mais, comme l’éclair aussi, ce regard énergique ne dura qu’un instant et fit place à une expression de calme tristesse.

— Si vous vouliez, Christine ! si vous vouliez !… qu’il serait facile de fuir ensemble, d’aller unir nos destinées sur une terre étrangère et de vivre l’un pour l’autre, oubliés et heureux !… Je vous mènerais dans de beaux pays où le soleil brille comme vous dites que vous le voyez briller dans vos rêves ; je vous conduirais sur la cime des hautes montagnes d’où l’œil découvre un immense horizon. Vous verriez de belles forêts aux mille teintes de verdure, un vent vif et frais vous frapperait au visage, et vous oublieriez ces brouillards, cette terre humide, ces plaines monotones ! Nous nous aimerions dans de belles contrées !

Tandis qu’Herbert parlait, la jeune fille s’animait ; elle croyait voir ce qu’il racontait, son œil ardent regardait l’horizon comme pour le franchir, sa bouche s’ouvrait comme pour respirer l’air de la montagne ; mais elle passa brusquement la main sur ses eux, et, soupirant profondément : — Non, s’écria-t-elle, non. il faut rester ici !… Herbert, c’est mon pays, pourquoi me fait-il souffrir ? Pourquoi est-ce qu’il m’oppresse de tant de tristesse ? En rêve, je me souviens d’un autre ciel… d’une autre terre… mais ce n’est qu’un rêve ! Je suis née ici, et je n’ai pas franchi la clôture de la prairie. C’est ma mère qui a trop chanté auprès de mon berceau les ballades, les boléros de Séville, sa patrie ; elle m’a trop raconté l’Espagne, et j’aime ce pays inconnu comme on aime un ami absent que l’on voudrait revoir !…

La jeune fille laissa tristement errer son regard sur le fleuve, que commençait à couvrir un épais brouillard. Quelques goutte de pluie vinrent frapper le feuillage ; elle croisa sa mante sur sa poitrine, et, atteinte par le froid, tout son corps frissonna.

— Quittez-moi, Christine, vous soufrez ! retournez à votre demeure, et puisque vous ne voulez accepter ni mon toit ni mon foyer, allez près de ceux qui peuvent vous abriter et vous réchauffer !

Un doux sourire effleura les lèvres de Christine.

— Mon ami, dit-elle, près de vous j’aime mieux la pluie qui mouille mes cheveux, j’aime mieux cette branche d’arbre, raboteuse et dure, j’aime mieux ce vent qui me fait frissonner que d’être assise au logis,