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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 avril 1850.

Nous ne voulons pas exagérer la portée des clameurs qui ont accueilli le président dans la traversée du faubourg Saint-Antoine ; nous ne voulons pas non plus pourtant l’atténuer outre mesure, et n’en faire qu’un événement de carrefour. Tout, il est vrai, a été prémédité, combiné, arrangé dans ces clameurs, et nous reconnaissons de grand cœur que le vrai peuple n’y est pour rien ; mais le vrai peuple a laissé faire, comme toujours ; le vrai peuple n’a pas couvert et étouffé les cris des factieux sous ses acclamations de reconnaissance. Le faux peuple a eu la liberté et la facilité de l’injure ; il a singé la foule, sans que la foule s’indignât de cette contrefaçon et la vînt démentir. Il y a deux peuples dans notre malheureuse ville de Paris et peut-être aussi dans notre malheureuse France, l’un qui travaille, qui laboure, qui fabrique, qui commerce, qui négocie, qui navigue et qui féconde par son activité le sol national ; l’autre, qui s’agite et se remue sans cesse, qui veut mettre sa paresse et ses vices au compte de la France, qui se recrute sans cesse de tous les mécontens de bas étage, de tous les ambitieux de mauvais aloi, qui trouve sa force dans l’indulgence meurtrière de nos lois et dans l’indulgence plus meurtrière encore des amnisties, que rien ne réconcilie, parce qu’il n’y a plus dans ces ames perverties de quoi se repentir : il n’y a plus que de quoi se dépiter et s’aigrir. S’imaginer qu’entre ces deux peuples il puisse jamais y avoir la moindre paix ou la moindre trêve, c’est une grande erreur et qui perdra successivement tous ceux qui en seront atteints. Ce qu’il faut souhaiter au contraire, c’est que les deux peuples se séparent chaque jour davantage, que le vrai peuple ne se mêle plus à ce faux peuple, qu’il ne le prenne ni pour guide ni pour allié, qu’il ne se taise pas devant ses cris, mais qu’il les étouffe par sa voix imposante et véridique ; voilà ce qu’il faut souhaiter, voilà où est le salut, et non dans des tentatives de