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et elles en ont le droit, parce que c’est leur premier besoin une sorte de révélation intérieure leur apprend à compter sur leurs qualités, à se méfier de leurs défauts ; elles se sentent capables des plus grandes choses sous une main intelligente et ferme, des plus misérables sous une main défaillante. Semblables à ces coursiers généreux qui ne savent pas supporter un cavalier timide ou malhabile, elles s’en prennent à leur chef de toutes leurs faiblesses, de tous leurs malheurs, de tous leurs égaremens, et ce n’est pas sans quelque justice, car leurs fautes sont toujours celles des hommes qui les conduisent ; elles ne résistent jamais à de nobles exemples : soldats de Rosbach avec le prince de Soubise, des Dunes et d’Arcole avec Turenne et Bonaparte.

Un peuple impressionnable et impatient, qui est le premier du monde quand il est bien conduit, l’un des derniers quand il l’est mal ou ne l’est pas, gagne-t-il à se constituer en république ? Consolide-t-il son avenir, ou le livre-t-il à de perpétuelles incertitudes ? Assure-t-il ainsi sa félicité ou son malheur, sa grandeur ou sa décadence ? — La parole sur ces graves questions est maintenant aux événemens ; mais il est clair que, pour être autre chose qu’une série de catastrophes, la république de ce peuple doit s’approprier dans son organisation au caractère national. Une constitution qui n’introniserait que nos infirmités et nos mauvaises passions ne garantirait que notre perte. On a vu de mauvaises lois faire périr des nationalités. Ce n’est pas seulement la Russie, la Prusse et l’Autriche qui ont effacé la Pologne de la liste des nations : c’est le liberum veto qu’elle avait inscrit dans sa charte, et, quoique la France ne puisse périr que de ses propres mains, la persévérance dans les malentendus dont elle souffre suffirait à la pousser vers l’abîme.

Ces malentendus n’auront qu’un temps. À moins que nous ne soyons un peuple définitivement condamné par les décrets de la Providence, ils ne résisteront ni à la logique naturelle qui domine nos esprits et règne dans notre langue, ni à notre impuissance de vivre de longs jours dans le désordre. La nation a déjà montré, à la vérité, sans beaucoup d’esprit de suite et sans avoir la bonne fortune d’être parfaitement comprise, dans quelle voie il lui convenait de marcher. Qu’on sache discerner nos besoins et nos tendances, gouverner avec le vent, bien qu’il soit quelquefois mauvais, et nous arriverons au port, sans doute avec peine, mais infailliblement.

Que pouvait faire la nation au mois de février 1848, lorsqu’au milieu d’une crise qui, sous une main ferme, aurait marqué la fin d’une vieille maladie latente, la monarchie désertait la lutte ? Elle accepta, faute de mieux, la république ; mais celle-ci avait de rudes ennemis dans les républicains : ils la desservirent à qui mieux mieux pendant dix mois ; la plénitude des pouvoirs remis entre leurs mains ne servit qu’à faire ressortir leur nullité. Vint le mois de décembre. L’expérience qui