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du corps, cette prophétie juive si pleine de révélations, qui, chaque jour, retentit dans nos rues : Vieux habits ! vieux galons ! Il était une fois un peuple qui, à une écrasante majorité, vota pour Barrabas… Ce n’est pas lui qu’il nous faut, s’écria-t-il de tous ses forces, c’est Barrabas ; lui nous savons ce qu’il vaut, qu’on le crucifie ! Barrabas est notre homme. Ils avaient voulu Barrabas ; ils l’ont eu… Avec lui, ils sont allés où on va avec de pareils guides, et maintenant, après dix-huit siècles de malheur, ils chantent prophétiquement : Vieux habits ! vieux galons ! »


Ce n’est pas à ce point de vue que l’on se place, je le sais. Le suffrage universel, nous dit-on, est un moyen de prévenir les accaparemens et les tyrannies : il a pour but d’empêcher l’autorité d’abuser et d’enlever aux privilégiés la puissance de nuire. Que les gouvernans aient souvent abusé, cela n’est pas douteux. Quand les folies des hommes les rendent incapables de se respecter l’un l’autre et décrètent ainsi la nécessité d’une autorité, l’autorité ne peut être exercée que par des fils d’Adam, essentiellement sujets à toutes les faiblesses humaines, et il est bien évident que tout ce qui est en eux, mal et bien, ne manquera pas de porter ses fruits. Ils abuseront donc. À qui la faute ? Ne serait-ce pas aux folies qui ont rendu nécessaire une forme de pouvoir à laquelle étaient forcément attachés certains dangers ? — Mais les hommes n’aiment pas et ne peuvent pas s’expliquer leurs mésaventures par leurs fautes et leurs incapacités ; ils préfèrent tout expliquer par la perversité des tyrans, des imposteurs, en un mot, par leur propre guignon. À l’heure qu’il est, nous en sommes là : nous avons décidé que tout danger était dans le pouvoir, que tout progrès consistait à le supprimer pièce à pièce ; parce qu’il peut abuser, nous avons résolu de l’abolir : nous ne voyons plus à quoi il sert, nous sommes convaincus que toute direction est inutile.

M. Carlyle l’a dit, et bien dit : « Nous sommes un monde qui se flatte de n’avoir plus besoin de gouvernement. » Quoi que puisse produire le suffrage universel, c’est bien là ce qu’il exprime certainement. Le chaos, doué du don d’éloquence, emploie sa voix à se chanter à lui-même gloria in excelsis. On a confiance dans le bon sens du pays, on a confiance en l’évidence de la vérité. Nos révolutions n’ont pas seulement prouvé que nous reposons sur un volcan, elles ont encore prouvé que nous n’apercevons pas les forces terribles qui bouillonnent sous nos pieds. Voilà le sens, voilà un des sens du moins de cette démocratie universelle. M. Carlyle la juge ainsi, et tout son premier pamphlet n’est qu’un cri d’alarme.


« De l’autorité ! encore de l’autorité ! Nous allons tous à l’abîme, l’Angleterre comme les autres nations. Ceux même qui ont le plus d’horreur pour la république rouge et ses corollaires courent à pleine vitesse vers un semblable dénoûrnent… Sur la poussière de nos héroïques ancêtres, nous passons notre temps