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les passions de quelques hommes qui ont provoqué ces nécessités elles-mêmes.

Ce fut l’erreur capitale des chefs parlementaires de la bourgeoisie, feuillans et girondins, de pousser à une lutte dont l’issue ne pouvait manquer d’être funeste aux intérêts qu’ils avaient mission de représenter. La guerre ne leur offrait, en effet, qu’une alternative également déplorable : ou bien l’émigration, appuyée sur l’étranger, triompherait d’une armée sans discipline, et dans ce cas l’œuvre de 89 disparaissait tout entière comme le rêve d’une nuit de délire, ou bien la France était prédestinée à des succès, et, dans la disproportion manifeste des forces, avec des corps désorganisés par l’émigration et par la révolte, ces succès ne pouvaient être obtenus qu’en surexcitant les plus redoutables passions et qu’en provoquant dans les masses un mouvement gigantesque au sein duquel les classes moyennes seraient infailliblement abîmées. Il ne fallait pas beaucoup de sagacité pour pressentir un pareil résultat. En l’affrontant avec une systématique obstination, en se montrant plus unanimes et plus résolus sur la question de la guerre que les montagnards eux-mêmes, les girondins mirent de leurs propres mains la révolution française aux mains de la démagogie et se firent à eux-mêmes leur destinée. En ceci, comme dans tout le cours de sa carrière, la gironde subit l’influence d’un petit nombre d’hommes devenus les directeurs du parti, parce que, sans être doués d’un grand esprit politique, ces hommes possédaient à un degré remarquable ce qui manquait à ce parti lui-même, l’esprit de résolution et d’initiative.

Depuis l’avènement de l’assemblée législative, presque toutes les illustrations de l’ancien tiers-état avaient disparu de la scène. Rentrés dans la retraite ou demeurés à Paris conseillers secrets du prince que leurs exigences avaient perdu, ces hommes n’avaient plus à payer à leur patrie que le tribut de leurs regrets et celui de leur sang. Toutefois la classe dont ils étaient issus peut produire avec une juste fierté ces noms demeurés dans l’histoire. Si, sous l’empire de leurs passions, les constituans enfantèrent une constitution chimérique, sous celui de leurs lumières ils ont doté leur pays des lois civiles et des institutions administratives qui depuis un demi-siècle protègent la France dans la chute de tous ses gouvernemens. L’œuvre des girondins fut moins durable : ils n’ont laissé dans l’histoire que des souvenirs personnels, et la postérité connaîtra moins leurs idées que leurs infortunes. Légers par nature, hésitans par scepticisme, peu propres et peu préparés aux grandes affaires, ils prirent la révolution pour un drame, et crurent qu’il suffisait pour y jouer un rôle du talent de bien parler et du courage de bien mourir. Chefs d’une majorité d’abord considérable, arrivés au pouvoir en possession de toutes les ressources d’un gouvernement et de tout l’enthousiasme d’une révolution, ils furent en six