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nécessairement se détourner pour l’assiéger et s’en rendre maître avant de passer plus avant. De là toute l’histoire et les malheurs de cette contrée. Les écrivains hongrois, frappés de cette situation, l’appellent toujours la forteresse de la Hongrie, arcem Hungariœ. Qui est maître de la Transylvanie en effet l’est bientôt de la Hongrie, et peut se jeter à volonté sur les principautés danubiennes. La plus légère inspection du pays suffit à le faire comprendre.

À l’extrémité des plaines marécageuses qui s’étendent en Hongrie entre le Danube et la Theiss, le terrain se renfle peu à peu, monte par degrés, et s’élève au niveau des groupes irréguliers que les Karpathes jettent çà et là en dehors de leur chaîne principale. Ces monts confusément entassés et les hautes vallées qu’ils renferment forment un plateau d’environ trois cents lieues de circonférence. Si du haut d’un des sommets les plus élevés on pouvait considérer l’ensemble de la contrée, elle apparaîtrait comme une mer houleuse dont les vagues, tourmentées par les vents, tantôt élèvent leurs crêtes blanches d’écume, tantôt se creusent en sillons d’un vert étincelant. Au midi, à l’est, et en partie au nord, la chaîne des Karpathes enveloppe le pays comme d’un rempart taillé à pic. Quelques rares passages qui suivent le lit des torrens ouvrent seuls des brèches à travers cette muraille[1].

Cette région élevée donne naissance à un grand nombre de rivières, dont les plus grandes, la Marosh, le Szàmos et l’Aluta, sont à peine navigables dans l’état actuel. La Marosh seule coule dans la direction de la pente générale vers la Hongrie, et se jette, près d’Esseg, dans la Theiss. Les deux autres, au contraire, tourmentées par les obstacles qu’elles rencontrent et contraintes de couler dans le lit de vallées tortueuses, s’échappent de la Transylvanie, la première par le nord, l’autre par le midi. L’Aluta, après avoir roulé ses eaux à travers l’étroit défilé de la Tour-Rouge et les plaines de la Valachie, se jette dans le Danube. Souvent aussi, au milieu de ces pentes, heurtées, contrariées l’une par l’autre, les eaux, ne trouvant nul écoulement naturel, forment des lacs profonds, qu’on rencontre avec étonnement au sommet des montagnes, et qui donnent au paysage un aspect particulier. Les antiques chênes, les pins, les hêtres, qui couvrent encore les montagnes de la Transylvanie, baignent leurs troncs dans ces eaux tranquilles. D’innombrables oiseaux habitent au fond de ces retraites. Quand le voyageur arrive, fatigué, aux dernières heures du jour, près d’un de ces lacs perdus dans les forêts, il dresse sa tente au bord du rivage ; les chevaux sont laissés en liberté à la lisière des bois, et la pêche ou la chasse ont fait bien vite les frais du repas[2]. Cependant le bruit qui

  1. Les plus célèbres de ces passages sont celui de Bistritz dans la Moldavie, de Tomos dans la Valachie, vers Cronstadt, celui de la Tour-Rouge entre Hermanstadt et Bucharest, et enfin la Porte de Fer, qui communique de la vallée de Hatzeg à la basse Hongrie.
  2. C’est surtout dans le district de Hatzeg, sur une des routes qui conduisent de la Hongrie en Transylvanie, qu’on trouve, au sommet des hautes montagnes à travers lesquelles le chemin est frayé, quantité de ces lacs creusés en forme d’entonnoirs : on y pêche de nombreux poissons, et entre autres des saumons monstrueux. Quelques-uns de ces lacs sont salés, et, au lieu d’expliquer cette circonstance par l’existence bien connue des riches dépôts salins qui se trouvent en Transylvanie, le vulgaire suppose que ces lacs sont en communication avec la mer.