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rapidement que le grand astre jette ses rayons sur le ciel et les montagnes. J’ai dans la tête un paon bien autrement neuf, bien autrement magnifique, et « je ne demanderais pas une heure pour mieux faire[1].

Le portrait du Cygne est fort préférable : là il y a vraiment du talent, d’habiles artifices d’élocution, de la limpidité et de la mollesse dans le style, et une mélancolie d’expression qui, se mêlant à la splendeur des images, en tempère heureusement l’éclat. Un morceau encore sans reproche, c’est le début des Époques de la Nature. Il y règne de la pompe sans emphase, de la richesse sans diffusion, et une magnificence d’expression, haute et calme, qui ressemble à la tranquille élévation des cieux. Buffon ne s’est jamais montré plus artiste en fait de style. C’est la manière de Bossuet appliquée à l’histoire naturelle.

« Mais un écrivain bien supérieur à Buffon, poursuivait Rivarol sans s’interrompre, c’est Montesquieu. J’avoue que je ne fais plus cas que de celui-là (et de Pascal toutefois !) depuis que j’écris sur la politique : et sur quoi pourrait-on écrire aujourd’hui ? Quand une révolution inouie ébranle les colonnes du monde, comment s’occuper d’autre chose ? La politique est tout ; elle envahit tout, remplit tout, attire tout : il n’y a plus de pensée, d’intérêt et de passion que là. Si un écrivain a quelque conscience de son talent, s’il aspire à redresser ou à dominer son siècle, en un mot s’il veut saisir le sceptre de la pensée, il ne peut et ne doit écrire que sur la politique. Quel plus beau rôle que celui de dévoiler les mystères de l’organisation sociale, encore si peu connue ! Quelle plus noble et plus éclatante mission que celle d’arrêter, d’enchaîner, par la puissance et l’autorité du talent, ces idées envahissantes qui sont sorties comme une doctrine armée des livres des philosophes, et qui, attelées au char du soleil, comme l’a si bien dit ce fou de Danton, menacent de faire le tour du monde ! Pour en revenir à Montesquieu, sans doute en politique il n’a ni tout vu, ni tout saisi, ni tout dit, et cela était impossible de son temps. Il n’avait point passé au travers d’une immense révolution qui a ouvert les entrailles de la société, et qui a tout éclairé, parce qu’elle a tout mis à nu. Il n’avait pas pour lui les résultats de cette vaste et terrible expérience, qui a tout vérifié et tout résumé ; mais ce qu’il a vu, il l’a supérieurement vu, et vu sous un angle immense. Il a admirablement saisi les grandes phases de l’évolution sociale. Son regard d’aigle pénètre à fond les objets et les traverse en y jetant la lumière. Son génie, qui touche à tout en même temps, ressemble à l’éclair qui se montre à la fois aux quatre points de l’horizon. Voilà mon homme ! c’est vraiment le seul que je puisse lire aujourd’hui. Toute autre lecture languit auprès de celle d’un si ferme et si lumineux génie, et je n’ouvre jamais l’Esprit des Lois que je n’y puise ou de nouvelles idées ou de hautes leçons de style. »

Chênedollé, à qui l’on doit cette vive reproduction du discours de Rivarol (discours qui n’est pas encore à sa fin), s’arrête ici un moment pour noter les sentimens divers qui se pressaient en lui devant ces flots et cette cascade toujours rejaillissante du torrent sonore. À propos de la

  1. Il n’avait pas seulement le paon dans la tête, il était le paon en personne à ce moment-là.