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venus la nuit reconnaître le campement, et il y a là en outre des traces d’hommes blancs, de bandits mexicains aussi redoutables que les Indiens, car on ne se défie pas d’eux, et on peut accueillir comme des frères des gens qui, le lendemain, vous égorgeront.

Le chasseur s’arrêta un moment, puis il reprit : — Il ne manque rien, ma foi, à la collection des traces les plus dangereuses, pas même celles de l’ours gris des prairies.

Je frémis à l’idée des périls qui menaçaient le squatter. M’adressant alors au romancier, comme s’il eût porté le même intérêt que moi à la famille de Township

— Laisserons-nous ces malheureux, lui dis-je, sans essayer de leur porter secours ? Deux combattans de plus ne sont pas à dédaigner, et peut-être notre renfort pourra-t-il les sauver.

Le brave jeune homme n’hésita pas à accepter ma proposition ; le chasseur passait sa main dans ses cheveux d’un air de perplexité.

— Il y a bien, dit-il enfin, cet ours gris qui me tente un peu, et si ce n’était le devoir de ma charge de batteur d’estrade… mais bah ! on ne rencontre pas tous les jours un gibier aussi séduisant, et puis, sans moi, vous ne seriez d’aucun secours pour les voyageurs.

Je saisis la main de Tranquille et le suppliai de n’être pas sourd à la voix de la pitié ; le rude Canadien sembla s’attendrir.

— Diables d’ours gris ! dit-il, il sera dit qu’ils me feront toujours faire des folies.

Il fut arrêté que nous nous reposerions quelques heures pour laisser au chasseur, qui marchait toujours à pied, le temps de se remettre d’une longue traite et d’obtenir la permission de s’éloigner du camp pendant deux ou trois jours, après quoi nous emploierions la nuit à franchir les quinze lieues qui devaient nous séparer du squatter. Ces quelques heures d’attente me semblèrent un siècle. Enfin, Tranquille vint nous chercher, monté sur un excellent cheval d’emprunt qu’il maniait en cavalier consommé. Nous partîmes au grand trot. Tranquille marchait à notre tête en sifflant un air de chasse, et nous le suivions du plus près possible pour éviter les nombreux obstacles que les prairies cachent à chaque pas sous leur apparente uniformité. La lune brillait au ciel et jetait sur ces immenses plaines sans ombre une clarté qui les faisait ressembler à une nappe d’eau sans fin.

— Sommes-nous sur la bonne voie ? demandai-je au chasseur, qui, depuis long-temps déjà, trottait silencieusement devant nous.

— Parbleu ! l’Arkansas n’est pas loin ; les bisons vont y boire par troupes ou deux à deux, et l’ours gris est si friand de leur chair !

Le Canadien ne pensait qu’à l’ours gris, puis de temps en temps il s’arrêtait pour écouter ; nous nous arrêtions aussi, et le bruit de la respiration