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au milieu d’une grande anxiété ; quelquefois seulement les saillies des dissidens venaient à la traverse : « Je ne nomme pas d’anti-César, » s’écriait l’un ; « je ne suis pas un prince électeur (Kurfurst), » interrompait l’autre.

Qu’est-ce que va résoudre la Prusse ? Voilà, dès à présent, une affaire de plus engagée dans l’Europe, déjà si émue. La Prusse acceptera-t-elle ? L’état unitaire est alors enfin établi ; mais, il ne faut pas non plus se le dissimuler, c’est aussitôt une rupture de la Prusse avec l’Autriche, une alliance offensive et défensive de l’Autriche avec la Russie, un surcroît de difficultés du côté du Danemark et de la Suède, encouragés par les grandes puissances : c’est la Bavière qui reprend sa vieille politique ; ce sont les petits états, Bade, Wurtemberg, Saxe, Hanovre, qui luttent comme ils peuvent contre l’hégémonie prussienne. Ce n’est pas nous qui disons tout cela, mais bien un judicieux journal qui parait depuis quelque temps à Berlin sous le patronage des libéraux de 1847, la Gazette constitutionnelle. Et, d’autre part, le gouvernement prussien repousse-t-il d’une façon décisive l’offre dangereuse qu’on va lui faire dans des circonstances si anormales et vis-à-vis de dispositions si peu engageantes ? Ou bien alors l’assemblée nationale de Francfort n’est rien qu’un fantôme qui doit du coup s’évanouir, ou bien la révolution est dans toute l’Allemagne, et c’est l’assemblée qui l’y jette.

Elle a en effet voté, dans sa séance suprême du 28, ce paragraphe significatif, immédiatement après celui qui détermine le mode de l’élection et de la proclamation de l’empereur : « L’assemblée nationale exprime la ferme confiance que les princes et les populations de l’Allemagne, s’unissant à elle par un accord patriotique et magnanime, poursuivront de toutes leurs forces l’accomplissement des décrets qu’elle aura promulgués. » C’est là qu’en est à présent la diète de Francfort ; elle ne peut plus vivre qu’à la condition d’en appeler aux peuples eux-mêmes du soin de rendre obligatoires les arrêts par lesquels elle veut enchaîner les gouvernemens et les faire solidaires de ses desseins, en leur imposant les grandeurs qu’elle fabrique. L’entêtement doctrinal des théoriciens allemands les a poussés, en dernier recours, à solliciter l’intervention des multitudes. La constituante de Francfort semble oublier que sa gloire a été d’avoir maintenu quelque temps l’apparence de l’ordre en Allemagne, et, pour mieux assurer ses projets, elle déclare qu’elle ne remettra ses pouvoirs qu’à la prochaine diète sortie du plein exercice de la constitution qu’elle a votée. Si cette constitution ne réussit pas à fonctionner avec son chef en tête, la constituante prolongera-t-elle indéfiniment son existence ? Encore un problème !

Le roi Frédéric-Guillaume a déjà beaucoup d’affaires chez lui sans avoir besoin de s’en créer ailleurs : un ministère mal assis et où M. d’Arnim est entré pour qu’il y eût au moins un personnage politique, une seconde chambre très douteuse, une capitale toujours inquiète et frémissante. L’anniversaire de la révolution du 18 mars a été l’occasion de regrettables désordres. Les soldats tiennent toute la ville, et Berlin, sous le commandement du général Wrangel, ressemble fort à Vienne sous celui du général Welden. Il y a d’ailleurs pour ces deux pays une préoccupation plus triste que le spectacle de leur existence intérieure ainsi gênée par leurs propres soldats : c’est la pensée de la pression qui pèse sur eux du dehors. Il est une calamité qui plus encore que l’état de siége doit leur montrer cruellement la déplorable conséquence des exploits de la démagogie : c’est la prépondérance que chaque jour passé sous ce régime violent