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dans le domaine naturel des avocats de profession jusqu’à ce que la haute raison de M. Thiers l’eût dégagée de leurs dossiers. L’assemblée, dont M. Thiers a su commander enfin l’attention, était, la veille encore, beaucoup moins émue que froide et embarrassée. Que ce soit tout-à-fait sa faute et qu’il y ait là contre elle un grief de plus, nous ne voudrions pas le prétendre : il est de ces positions fausses dans lesquelles tous les sentimens sont gênés ; mais où, par malheur, le sentimens d’une bonne partie de l’assemblée se donnent-ils carrière ? à quoi s’applique-t-elle et s’anime-t-elle de prédilection ? Il faut le confesser, c’est toujours à cette sourde guerre de défiance qu’elle livre maintenant sans relâche au parlement qui doit la remplacer. On oublie que le parlement sera, lui aussi, l’élu de la nation, qu’en le tenant d’avance pour suspect, on frappe d’une égale suspicion la souveraine autorité du vœu populaire, qu’on en appelle de la sorte des suffrages du lendemain aux suffrages de la veille, tandis que le sens de la constitution et le but même du vote universel seraient de subordonner les suffrages de la veille aux suffrages du lendemain. On oublie tout cela, et l’on se consume en précautions vis-à-vis des futurs représentans du pays, on ne pense qu’à se fortifier contre eux en cherchant à tout prix une popularité plus ou moins équivoque, ou bien à les affaiblir en leur léguant des embarras. Ceux qui s’avisent ainsi de tracasser l’avenir calculent évidemment comme s’ils étaient déjà sûrs qu’ils n’auront rien à y voir, et vraiment ils ne se trompent guère. Ce n’en est pas moins un fâcheux spectacle que celui-là, et l’assemblée, qui a mis tant de mauvaise grace à marquer le jour de sa retraite, aurait gagné à n’avoir pas ce temps de répit qu’elle s’est ménagé pour l’employer si médiocrement.

On conçoit que des hommes même modérés soient arrivés de leurs provinces, au milieu de cette fumée des révolutions de 1848, avec des illusions assez vives sur la valeur et la portée des réformes qu’ils se croyaient destinés à introduire dans le gouvernement de la France ; mais quand, au su de tout le monde, ces illusions doivent être dissipées, quand il n’est plus permis d’ignorer, par exemple, qu’on ne gouverne pas sans argent, et qu’il n’y a pas d’ordre possible au sein du désordre, comprend-on que l’on s’acharne encore à ruiner, sous prétexte d’économie, les services essentiels du budget, à sauvegarder, sous prétexte de liberté, les plus détestables instrumens de la licence et de l’anarchie ? Ç’a été là pourtant le principal travail d’une notable portion de l’assemblée durant tous ces derniers jours, qu’elle a consacrés à discuter le budget des dépenses et la loi sur les clubs. Non, nous ne nous figurons pas que parmi les honorables membres de l’opposition qui ont attaqué le budget ou protégé les clubs, il y en ait beaucoup qui croient par principe au budget des républicains rouges, comme l’appelle M. Mathieu (de la Drôme), encore moins tiennent-ils à l’indépendance absolue du droit de réunion ; c’est une chose remarquable, que les défenseurs les plus graves des clubs aient trouvé si peu de bien à dire en leur faveur ; ils ont plaidé leur cause comme des avocats d’office qui n’auraient pas tout l’amour du monde pour leur client.

Au fond, voici ce qu’il en est : à moins de céder à la témérité d’un beau désespoir, comme les héros clair-semés de la montagne, il n’est plus possible de s’affubler du bagage trop révolutionnaire des doctrines radicales. Certains politiques se persuadent cependant qu’on en peut encore tirer quelque grain d’un libéralisme supérieur au libéralisme vulgaire, et ne doutent pas qu’il ne