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ceux dont les chevaux étaient les plus agiles, furent désignés pour le seconder. Les cavaliers commencèrent par alléger leurs chevaux du poids qui pouvait ralentir leur course ; puis, se débarrassant de leurs chapeaux, la tête entourée d’un mouchoir pour la garantir de l’ardeur du soleil, tous furent prêts pour cette chasse d’un intérêt suprême.

Au-delà de l’animal assoupi, la prairie s’élevait en pente douce. Tom Hancock commença de s’avancer en rampant, après avoir pris l’avantage du vent, du côté du buffle : à peine apercevait-on le corps du chasseur au-dessus des touffes d’herbes ou des taupinières qui jonchaient la prairie ; mais, quoiqu’il fût familiarisé avec toutes les ruses de chasse qui pouvaient assurer son succès, Tom cessa de ramper à cent cinquante mètres environ de sa proie. Sa carabine s’éleva parallèlement au sol, puis il fit feu. Il était convenu que les cavaliers resteraient inactifs jusqu’après le second coup. Le buffle blessé, mais légèrement, se leva en bondissant, étira ses membres, roula sa queue à droite et à gauche, et se recoucha. Tom Hancock, sans se redresser, rechargea tranquillement sa carabine et fit feu pour la seconde fois. L’animal, plus grièvement blessé, bondit de nouveau sur ses jarrets, et, à l’aspect des cavaliers, fit volte-face et s’éloigna d’un pas pesant. Alors la chasse commença plus sérieusement. M. Kendall, mieux monté que ses trois associés, ne tarda pas à les devancer, à gagner du terrain sur l’animal poursuivi : mais, à l’aspect effrayant de cette masse énorme, dont les yeux brillaient comme deux globes de feu à travers les touffes d’une épaisse crinière, le cheval, épouvanté, se déroba sous le cavalier, au lieu d’avancer. Il ne se décida qu’après avoir senti l’éperon labourer ses flancs, et s’élança vers le buffle au point d’effleurer presque ses cornes. Trois ou quatre fois le chasseur répéta cette manœuvre, et chaque fois une blessure arrachait un gémissement au bison ; l’animal cependant tenait toujours tête au chasseur, et il fallut qu’un des compagnons de M. Kendall le remplaçât pour mettre fin à la lutte, en couchant à terre le bison, qui cette fois ne se releva plus.

La joie était au camp ; malheureusement dans tout le voisinage il n’y avait pas un arbre, pas une racine qui pût fournir le bois nécessaire pour cuire le bison, et les chasseurs, affamés comme des loups, se virent forcés de reprendre leur marche, la chair saignante suspendue aux arçons. La nuit venait, et les angoisses de la faim eurent raison des dernières et naturelles répugnances des voyageurs. Ils réunirent la fiente des buffles disséminée sur la prairie ; mais ce combustible, excellent à l’état de sécheresse, est détestable quand la pluie l’a détrempé. Enfin, on alluma tant bien que mal un feu languissant ; les chasseurs dévoraient à belles dents une viande enfumée et à peine cuite. Pour la première fois depuis l’arrivée des cavaliers dans la grande prairie, les loups hurlaient la nuit dans leur voisinage. — C’est bon signe, dit