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reprendrait plus. Dans la vivacité même de son serment, je retrouve le nerf primitif du poète.


XI. — PUBLICATION DES ÉTUDES POÉTIQUES.

La meilleure des consolations, quand on éprouve une petite souffrance d’amour-propre, c’est de produire : il y a dans la production poétique surtout une satisfaction douce et intime qui guérit et qui apaise. Le succès des premières Méditations avertit Chênedollé que l’âge des succès purement littéraires n’était point clos à jamais par la politique, comme il l’avait craint long-temps, et, en 1820, il se risqua à publier son volume d’Études poétiques. C’était le recueil de ses anciennes odes d’il y avait vingt-cinq ans, sur Klopstock, Buffon, Michel-Ange ; mais il y avait ajouté bien des pièces nouvelles, pleines de fraîcheur et de vérité. Le dernier Jour de la Moisson, le Tombeau du jeune Laboureur, la Gelée d’avril, étaient des inspirations nées de la vie des champs, et qui gardaient en elles comme une douce senteur des prairies normandes[1]. On n’a jamais mieux rendu l’aspect de la campagne et des vergers en avril :

Le froment, jeune encor, sans craindre la faucille,
Se couronnait déjà de son épi mobile,
Et, prenant dans la plaine un essor plus hardi,
Ondoyait à côté du trèfle reverdi.
La cerisaie en fleurs, par avril ranimée,
Emplissait de parfums l’atmosphère embaumée,
Et des dons du printemps les pommiers enrichis
Balançaient leurs rameaux empourprés ou blanchis.

Espérance trompeuse ! la sérénité même du ciel a caché le danger ; le faux éclat d’une nuit perfide est décrit avec une rare élégance :

Mais du soir, tout à coup, les horizons rougissent ;
Le ciel s’est coloré, les airs se refroidissent ;
Et l’étoile du nord, qu’un char glacé conduit,
Étincelle en tremblant sur le front de la Nuit.
Soudain l’âpre Gelée, aux piquantes haleines,
Frappe à la fois les prés, les vergers et les plaines,
Et le froid Aquilon, de son souffle acéré,
Poursuit, dans les bosquets, le Printemps éploré.

  1. Chênedollé se plaisait à relire souvent le Proedium rusticum de Vanière, et il en disait : « On respire dans le Proedium rusticum je ne sais quelle bonne et suave odeur de ferme et de labourage qui n’est pas au même degré dans les Géorgiques (Redolet campos et prata et rusticationes). » Je lui laisse la responsabilité de son jugement et de sa préférence, mais le sentiment général est vrai. Son joli tableau, la Gelée d’avril, est comme du Vanière rajeuni.