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LE
CHÂLE VERT.

I.

Voici, madame, une petite histoire. Je crains qu’elle ne vous paraisse bien anodine, en ces jours d’émotions violentes. Telle qu’elle est, je vous l’adresse, et, si elle vous distrait un instant, je n’aurai pas perdu ma peine. Vous en connaissez le héros : c’est notre ami Ladislas, qui nous a quittés il y a peu de mois pour aller revoir, après un long exil, sa chère Pologne. Je profite de son absence pour vous conter une aventure qui lui advint à Paris voici quelque trois ans. Ladislas fut un matin réveillé par un gai rayon de soleil qui illuminait sa chambre. Il se leva et ouvrit sa croisée ; elle donnait sur un de ces rares petits jardins que notre capitale renferme encore, en dépit des spéculateurs. C’était une délicieuse matinée. L’air, rafraîchi la nuit par une ondée, était chargé de la senteur des lilas et des violettes ; les feuilles naissantes avaient un éclat métallique ; le ciel était bleu, le soleil jouait dans les arbres ; une quantité de moineaux gazouillaient, chantaient, bavardaient,

N’ayant pour vingt amours qu’un seul arbuste en fleurs,


et deux beaux merles, hôtes habituels du jardin, s’agaçaient avec plus de gravité en sautillant sur le sable humide de l’allée. Ladislas contempla le sourire charmant et écouta la voix harmonieuse de la nature qui