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III.

Les nouveaux états de Bohême, élus selon la forme libérale consacrée par le rescrit du 8 avril, les vrais mandataires du pays, et non plus ceux du privilège, étaient convoqués pour le 18 juin. A côté de cette assemblée, qui n’était après tout qu’un parlement autrichien, l’esprit tchèche voulut en avoir un autre qui fût avant tout un parlement slave. Le maître cafetier Faster siégeait dans les réunions démagogiques de la Swornost, revêtu de l’hermine des vieux rois, et remuait de là les couches inférieures des populations bohèmes : les savans et les aristocrates employèrent des moyens plus considérables pour agir dans une sphère plus étendue ; ils firent les choses en grand par une sorte de diplomatie souterraine, et l’idée d’un congrès général des familles de la race slave, à peine entrevue, fut aussitôt en voie d’exécution. L’idée venait peut-être de la Croatie, de Louis Stur et de Jellachich ; elle ne pouvait se réaliser qu’à Prague.

Le 1er mai, un certain nombre de personnes distinguées, appartenant aux différentes nations slaves, quelques-unes même de souche allemande, se réunirent à Prague pour y rédiger une adresse solennelle qui fut répandue de l’Adriatique à la mer Noire. Il faut connaître cette proclamation pour comprendre les pensées qui circulaient depuis le mois de mars dans la plus grande partie de l’empire autrichien.


« Frères Slaves, quel est celui d’entre nous qui ne regarde point avec désespoir vers le temps passé ? Qui donc ignore, parmi nous, que toutes nos douleurs, nous les avons éprouvées parce que nous vivions désunis, le frère séparé d’avec le frère ? Après nous être oubliés les uns les autres pendant tant de siècles, nous apercevons enfin que tous ensemble nous ne faisons qu’un. Voici maintenant une ère féconde qui affranchit les peuples et les délivre du fardeau sous lequel pliaient leurs épaules. Nous aussi nous pouvons dire ce que nous avons si long-temps senti, résoudre et pratiquer ce qui nous convient. Les peuples de l’Europe s’entendent et s’accordent. Les Allemands se rassemblent au parlement de Francfort qui doit prendre à l’Autriche autant qu’il en faut de sa souveraineté pour constituer l’unité germanique. L’empire autrichien va donc s’incorporer à l’empire allemand, et avec lui il entraînera toutes les provinces non allemandes, la Hongrie exceptée. L’indépendance et la nationalité des peuples slaves liés à l’Autriche n’ont jamais couru de plus grand péril. C’est notre droit d’hommes de protéger notre bien le plus sacré. Le temps est arrivé où nous autres, Slaves, nous sommes également obligés de nous concerter pour agir. Nous croyons donc répondre aux vœux qui nous sont transmis de tant de contrées différentes, et cependant sœurs, en adressant cet appel à tous les Slaves de la monarchie autrichienne : les hommes qui jouissent de la confiance des peuples et qui ont à cœur l’avenir de leur race sont invités à se rendre, le 31 mai prochain, dans l’antique et célèbre capitale des Slaves, dans la ville de