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du côté des assaillans, arracher les grilles des maisons, les enfoncer horizontalement dans l’épaisseur de la barricade, comme des chevaux de frise, et on aura un rempart imprenable.

« Eh bien ! figurez-vous cent barricades comme cela, cent rues pavées avec du verre cassé, les mères jetant leurs meubles sur la troupe, les hommes vigoureux défendant les barricades, se repliant de rue en rue devant les soldats ébahis, reparaissant dans des allées ou à des coins de rues ; figurez-vous les enfans avec leurs petites chemises pleines de sang, et se jetant encore sur les baïonnettes ; le tocsin, la Marseillaise, le drapeau rouge, les cris de vengeance, et vive la république ! »


Voilà le langage que les organes de la jeune Irlande adressaient toutes les semaines à leurs lecteurs habituels. Le gouvernement anglais, il faut le dire à son honneur plus qu’à celui des Irlandais, assistait à ces grandes démonstrations verbales avec la plus désolante impassibilité. L’United Irishman avait beau provoquer, injurier, anathématiser lord Clarendon, cet incorrigible aristocrate le laissait crier et n’avait pas l’air de s’en apercevoir. C’était ce qui exaspérait le plus M. John Mitchell, et il écrivait à lord Clarendon : «Je vais vous dire pourquoi vous n’essayez pas de me punir, c’est que vous savez bien que vous seriez battu ; vous savez bien que vous et les vôtres vous n’êtes pas un gouvernement, mais une bande de conspirateurs occupant notre pays par la force, la fraude, la corruption et l’espionnage ; vous n’osez pas même me citer devant vos propres tribunaux... Nous dirons donc tout haut le mot qui est au fond de nos cœurs : Haine à l’Angleterre jusqu’à la mort ! Nous le dirons, non dans le stupide langage de la force morale et de ces spéculateurs qui nous disent : « Encore un shelling, et la session prochaine ou l’année prochaine nous vous donnerons quelque chose de bon. » Non, nous parlerons une autre langue. »

Ces derniers mots s’adressaient, comme on le voit, aux O’Connell, qui continuaient en effet à prêcher l’agitation pacifique, et que la jeune Irlande traitait déjà de reptiles et autres choses semblables. Le journal de M. Mitchell n’y allait pas de main morte à leur endroit. «M. John O’Connell, disait-il, a fini par jeter son masque hypocrite. La plus stupide dupe de la force morale, le plus misérable lâche dans la terre d’Érin doit rougir de son chef. Au moment même où les citoyens de Dublin sont menacés de massacre s’ils tiennent un meeting, ce pauvre poltron, cet esclave du château, refuse de prendre part à toute démonstration en faveur de la France. Et c’est cet individu qui prêche l’union, lui qui a juré mille fois qu’il était prêt à répandre ses gouttes de sang ! Lord Clarendon devrait lui élever une statue, et, quant à ce que les Irlandais devraient faire de lui, nous ne voulons pas le dire. »

C’était à ce moment-là que la jeune Irlande se préparait à envoyer une députation à Paris auprès du gouvernement provisoire. M. Mitchell