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le rapport de M. Sainte-Beuve, reposait sur le rachat des lignes de chemins de fer. La première mesure de M. Goudchaux fut de retirer ce malencontreux projet, déjà soumis à la discussion de l’assemblée, et, à cette occasion, M. Duclerc somma le nouveau pouvoir exécutif de déclarer s’il abandonnait le principe ou s’il reconnaissait simplement l’inopportunité de la mesure. Le général Cavaignac répondit qu’il maintenait le principe même du rachat, et M. Goudchaux, dans son exposé du 3 juillet, s’exprima ainsi : « Reconnaissant dans la possession des voies ferrées par l’état un fait d’utilité publique, nous croyons devoir proclamer hautement pour lui le droit incontestable d’exproprier à toute époque les compagnies, sauf indemnité équitable. » Sans entrer dans une discussion approfondie sur ce projet, puisqu’en fait le gouvernement l’a abandonné, nous voulons cependant protester ici, avec toute la chaleur d’une âme honnête et d’un esprit convaincu, contre cette monstrueuse doctrine, issue du communisme, véritable attentat à la propriété, qui concède à l’état le droit de briser les contrats qu’il a faits avec les particuliers, quand il y trouve son avantage. L’indemnité dont vous parlez empêche-t-elle qu’il y ait violation des contrats ? Peut-elle être équitable, puisqu’une seule des parties en est juge ? D’ailleurs le principe de l’indemnité ne saurait détruire le fait déshonorant pour le pouvoir de manquer à ses engagemens, ou il faut admettre que l’honneur d’une nation est autre que l’honneur d’un particulier. Chez une nation civilisée, n’est-ce pas à l’état même de donner l’exemple du respect des lois les plus essentielles à l’humanité, des lois sans lesquelles aucune société ne saurait subsister ?

Je sais bien qu’il y a aujourd’hui dans le pays et jusque dans l’assemblée nationale une école qui s’appelle socialiste, et que j’appelle barbare, qui veut détruire la société actuelle et en reconstruire une autre sur les bases d’une morale impie ; cette école, qui heureusement compte peu d’adeptes, et dont une des doctrines extrêmes admet que Dieu est le mal et que la propriété est un vol, a perverti bien des esprits, ébranlé chez beaucoup le sens moral et obscurci la ligne de démarcation entre le bien et le mal, entre le juste et l’injuste. La lutte, qu’on se le dise bien, est aujourd’hui entre la propriété et le communisme, qui, repoussé avec horreur chaque fois qu’il se montre dans sa hideuse nudité, nous envahit de tous côtés sous mille déguisemens divers : c’est une grande victoire pour lui d’avoir déjà affaibli dans bien des consciences le sentiment de l’honnête, du respect des lois naturelles et des lois humaines. Comme il nous menace depuis cinq mois. Plusieurs des actes du gouvernement provisoire et de la commission exécutive portent son cachet ; l’impôt progressif annoncé par M. Garnier-Pagès, le décret de confiscation des versemens tontiniers, la loi d’expropriation des chemins de fer et des compagnies d’assurance contre l’incendie.