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l’attention, rien qui protégeât ces messagers des contrées lointaines. L’auteur s’était fié seulement à la grandeur de cette démocratie dont il racontait la dramatique histoire.

Aussi, quand ces romans pénétrèrent peu à peu, quel étonnement subit ! Comme les imaginations furent éblouies ! comme on s’informait avec respect de ce mystérieux écrivain, qui, séparé de ses frères par la moitié du monde, leur envoyait à travers l’Océan ces vivantes peintures d’une société libre ! L’enthousiasme alla même un peu loin. L’Allemagne, depuis plus de quinze ans, aspire à une poésie démocratique ; les romans de M. Sealsfield réalisent parfaitement cet idéal, et l’on ne doit pas s’étonner que l’admiration d’une jeune et ardente critique ait quelquefois dépassé les limites du vrai. On était impatient de connaître le nom du poète ; les hypothèses se croisaient en tous sens ; il s’appelait Follen selon ceux-ci, Rivinus selon ceux-là : le nom de Sealsfield était aussi prononcé, mais sans qu’on eût aucune raison sérieuse de s’arrêter à l’un ou à l’autre. Enfin, le grand inconnu, c’est ainsi que tous les critiques le désignaient dans leur naïf enthousiasme, le grand inconnu était mis au rang des maîtres suprêmes ; il était de la famille d’Homère et de Shakspeare ; c’était le poète si long-temps attendu, le vrai poète du XIXe siècle. Lisez cette page écrite sur M. Sealsfield par un juge qui passe pour intelligent et habile.


« Bien des poètes ont été jusqu’ici la brillante expression littéraire du développement de notre siècle, mais le sentiment moderne atteint aujourd’hui sa forme la plus haute et la plus large, la plus élevée et la plus compréhensive, chez un écrivain dont les œuvres sont des épopées, non pas d’une nation, mais du monde. Il est inconnu cependant, inconnu comme l’avenir auquel aboutira un jour la société présente. A peine depuis quelque temps nous a-t-on prononcé ce nom, Sealsfield. C’est chez lui, sans aucun doute, que l’esprit moderne a trouvé sa forme grandiose ; il s’élève, en effet, non pas seulement au-dessus des partis, mais au-dessus des peuples qui se partagent la terre.

« On sait que sept villes se sont disputé ce poète des âges primitifs qui semblait réunir en lui les nationalités les plus différentes et dont les chants ont été un lien entre l’Europe et l’Asie ; on sait aussi que son nom n’était qu’une épithète, et que la perfection de son œuvre était trop grande pour qu’on pût l’attribuer à un seul homme : le même phénomène se reproduit aujourd’hui. Bien plus, ce ne sont pas seulement des villes, ce sont des pays entiers, ce sont des parties du monde qui se disputent notre poète, le poète moderne par excellence, et il se pourrait bien que le nom de Sealsfield nous cachât le véritable nom de cette gloire inconnue. Oui, tandis qu’ils bataillent, Anglais et Allemands, Américains et Européens, pour savoir sur quelle terre il est né, plusieurs critiques déjà, par une hypothèse hardie, ne craignent pas d’attribuer ses œuvres à une école d’écrivains allemands disséminés sur la surface du globe, en sorte que les romans de Sealsfield, ces romans qui ont ébloui le monde, auraient été composés par ces germanides de la même manière que les homérides ont fait les