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ait conscience de sa folie. Ce qu’il lui faudrait, hélas ! c’est un traitement psychologique et moral.

La vie de l’homme est double ; il y a la vie morale et la vie matérielle, qui se traduit par l’activité extérieure. L’une et l’autre sont distinctes, bien qu’elles se touchent par beaucoup de points ; la vie matérielle est tout extérieure, la vie morale au contraire est cachée, latente et agit en secret. Certes, la vie extérieure abonde chez nous : le luxe, les inventions, le commerce, l’exploitation de la nature, les caprices de la civilisation, les modes, le mouvement, les excentricités, tout ce que les yeux peuvent voir abonde et annonce une plénitude de vie apparente ; mais, lorsque l’ame s’interroge, se replie sur elle-même et qu’elle se demande où est la vie, elle trouve la conscience muette et l’espérance en pleurs. Les empiriques prennent l’activité extérieure pour la vie elle-même, ils croient pouvoir l’enfermer dans leurs formules ; mais cette activité matérielle, qui est ce qu’on appelle, à proprement parler, l’existence, c’est-à-dire une chose multiple, ne se laissera jamais garrotter et fera éclater toujours ces formules. La vie morale, au contraire, est une chose simple et une, c’est la conscience. Les politiques s’attaquent à cette dernière et croient que, pour tout élément spirituel, il lui suffit d’abstraction, tandis qu’au contraire c’est d’une croyance qu’elle a besoin. Les uns et les autres se trompent donc. L’existence, l’activité extérieure est menacée par les empiriques, qui méconnaissent son essence, la liberté, la spontanéité, l’individualité. Les politiques sont impuissans par leurs abstractions à renouveler la vie morale. Les uns et les autres se rencontrent sur un seul point : c’est lorsqu’ils croient pouvoir renouveler la vie immédiatement avec leurs formules et leurs abstractions. Hélas ! non. Si la vie doit être renouvelée, elle le sera par le cours et par l’effet du temps, du temps seul. En disant cela, je ne prêche pas le statu quo et le doctrinarisme ; semez le bien, si vous pouvez, mais soyez sûr que le temps seul fera germer et mûrir la semence. Quelques impressions particulières que nous avons éprouvées récemment au milieu de cette activité extérieure, de ce mouvement singulier qui abondent à Paris, compléteront et éclaireront tout ceci.

Au lendemain des tristes événemens qui viennent de nous agiter, je sortis et me promenai à travers les rues de la ville ; l’air était chaud et plein de soleil. Tout était lumineux ; la vie abondait et ruisselait. Alors j’en vins à me poser cette question : La vie peut-elle tarir chez un peuple ? Autour de moi passaient des hommes qui m’étaient inconnus, chacun avec son caractère particulier, avec ses mœurs et ses habitudes connues de lui seul, portant au dedans de lui les secrets de sa vie intime, chacun avec un premier-Paris dans la tête, avec une explication des événemens qui n’était sans doute pas la mienne, tous portant au dedans d’eux-mêmes des millions de pensées non encore écloses, et qui se manifesteront extérieurement d’une façon ou d’une autre en affaires de commerce, en inventions industrielles, en opérations agricoles, en rêves poétiques, en découvertes scientifiques, en systèmes, en voyages lointains, en parties de chasse, en discours parlementaires, en émeutes, en histoires d’amour, en fourberies, et pour plus d’un, hélas ! en efforts et en luttes pour gagner l’existence et soutenir celle des êtres qui lui sont chers. Est-ce que tout cela, me dis-je, n’est pas mouvement, activité, vie et pensée ?