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souvent ridicule, semblent aujourd’hui avoir fait leur temps, comme les hypothèses. Cette science a compris sagement qu’elle ne pouvait acquérir une valeur réelle qu’à la condition de donner des faits, de s’appuyer sur des inductions positives, de parler clairement et simplement. Protégée par le gouvernement, bénie par le clergé, enseignée dans les séminaires, célébrée dans les congrès, représentée dans toutes les sociétés savantes, installée dans des musées magnifiques, interprétée dans des livres somptueux, étrangère aux passions politiques, et calme comme les ruines, l’archéologie peut être comptée au premier rang de ces sciences heureuses qui, sans scandale et sans bruit, font asseoir doucement leurs initiés sur les fauteuils de l’Institut, ou les introduisent à titre de conservateurs dans ce paisible royaume des sinécures, qu’on nomme les bibliothèques et les musées.

Compagne ou plutôt sueur de l’archéologie, la numismatique, quoique restreinte entre un petit nombre d’érudits, n’en a pas moins fait des progrès sérieux. Leblanc et Tobiesen-Duby en avaient été long-temps les seuls oracles, mais ni l’un ni l’autre n’expliquaient les types monétaires. Des voies nouvelles ont été de nos jours ouvertes à la science, qui s’est mise en rapports plus directs avec l’histoire, en rapports intimes avec l’iconographie et la symbolique païenne ou chrétienne. MM. Letronne, de Saulcy, Duchalais, de la Saussaye, l’ont éclairée de toutes les lumières que peut donner une connaissance parfaite des arts, des croyances et des mœurs dans l’antiquité et dans le moyen-âge. Grace à leurs travaux ingénieux et positifs tout à la fois, la numismatique a désormais sa place marquée dans les bonnes études historiques comme leur complément nécessaire.

La numismatique nous conduit droit au blason, et par le blason nous entrons de plain-pied dans la généalogie, branche aujourd’hui fort à la mode ; ce qui montre que, même au prix des plus terribles révolutions, il est difficile de faire disparaître les petites misères de la vanité. À voir les titres de certains livres, on pourrait se croire encore dans le XVe siècle, au temps où les hérauts d’armes de la Toison-d’Or comptaient parmi les dignitaires de l’état. La copie des armoiries, la transcription des titres héraldiques, la vérification de ces titres, plus ou moins authentiques, sont devenues pour quelques personnes une véritable profession, et l’exploitation du blason, l’histoire de la noblesse, sont regardées dans la librairie comme une bonne affaire[1].

  1. Pour montrer ce qu’est devenue la science généalogique depuis le père Anselme et le père Menestrier, nous empruntons à un journal judiciaire quelques détails qui nous semblent tout-à-fait caractéristiques. M. de Saint-Allais, qui s’intitulait chevalier et généalogiste de l’ordre noble du Phénix de Hohenlohe, historiographe de l’ordre noble de Saint-Hubert de Lorraine, chevalier, grand officier et généalogiste de l’ordre royal, hospitalier et militaire du Saint-Sépulcre de Jérusalem, etc., avait ouvert, sous la restauration, un cabinet de généalogie qui obtint quelque succès ; mais après la révolution de juillet, et malgré la résurrection du bourgeois gentilhomme, M. de Saint-Allais vit diminuer chaque jour sa clientelle, et en 1832 il écrivit à l’adresse de toute l’ancienne noblesse une circulaire dans laquelle il l’engageait à acheter les titres nombreux qu’il avait réunis. Nous extrayons de cette circulaire le passage suivant : « Parmi toutes mes collections, dit l’historiographe de l’ordre de Saint-Hubert de Lorraine, il existe une série dite critique sur laquelle il convient de s’expliquer ; elle se compose de pièces judiciaires, d’actes patens et authentiques qui constatent des meurtres, des faux, des concussions, des déprédations, des dettes déshonorantes, des usurpations de noblesse et de titres honorifiques, des anoblissemens dissimulés, des violences, des actes réprouvés par nos lois et par nos mœurs, enfin toutes les passions qui sont malheureusement inséparables de l’humanité, mais qui peuvent ternir l’éclat de certaines familles ; et, si l’insouciance de ces familles ne les porte à retirer les titres et les actes qui constatent les services et l’illustration de leurs ancêtres, peut-être rempliront-elles le devoir de retirer ceux qui constatent leurs délits, leurs vices, leurs défauts, afin de ne pas laisser des matériaux qui peuvent fournir à quelques écrivains les moyens de fonder un ouvrage qui serait un monument perpétuel de chagrin ou de désagrément pour elles et leur postérité. »