Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme en tout, il comprit son siècle, et la preuve qu’il le comprit, c’est qu’il ne chercha pas moins à le corrompre qu’à le comprimer. Non content d’effrayer par la force, d’entraîner par le succès, d’éblouir par la gloire, il jugea qu’il fallait encore s’adresser à l’esprit des hommes et le séduire ; il se mit à plaider lui-même, dans le Moniteur, la cause qu’il gagnait avec son épée. Je ne sache pas de signe plus frappant de la nature du temps où nous sommes, que cette obligation où se crut un conquérant de se faire sophiste ; singulière combinaison, qui semble à la fois une insulte et un hommage à la raison humaine ! »


Poursuivant ses déductions, l’auteur s’appliquait à montrer que la liberté reconnue aux citoyens de communiquer entre eux et de prendre acte de leurs opinions (ce qui, dans un grand empire, ne peut se faire que par la presse), était le seul moyen de créer une pensée commune fondée sur un commun intérêt, de hâter la formation des masses, et, en dissipant les fantômes nés du conflit des souvenirs, d’éclairer la société entière sur son état réel, sur les forces qui avaient grandi et s’étaient développées chez elle en silence ; pour les faire tout aussitôt apparaître, il ne fallait qu’un gouvernement libre : la Restauration, disait-il vivement, a mis la France au grand jour.

Et repoussant les évocations du passé qui défigurent le présent et qui empêchent de le reconnaître dans ce qu’il a d’essentiel et de nouveau, il signalait cet autre genre d’illusion tournée vers l’avenir, et qui consiste à rêver toujours au-delà, à chercher plus loin vaguement ce que déjà l’on possède si l’on sait bien en user : « Est-il donc si difficile, concluait-il, de voir ce qui est, et de sentir qu’il n’y a plus lieu d’appréhender des événemens qui sont aujourd’hui consommés, ni de désirer des résultats qui maintenant sont obtenus ? »

C’est ainsi qu’il cherchait à convaincre la Restauration du bienfait qu’elle recélait et à le lui faire rendre sans contrainte. Le publiciste éclairé dégageait à merveille les idées et les intérêts ; mais alors on avait à compter avec les passions.

Toujours et partout on a plus ou moins à compter avec elles, avec les entêtemens ou avec les rêves, avec un faux imprévu qui déjoue. Lorsqu’on est jeune, qu’on a l’esprit élevé comme le cœur, et qu’on croit à la raison universelle, si clairvoyant et si avisé d’ailleurs qu’on puisse être, on est d’abord tenté de se dire que la sottise humaine a fait son temps et que le règne du vrai commence, tandis qu’en réalité cette sottise ne fait que changer de costume avec les âges, et que, sous une forme ou sous une autre, elle est notre contemporaine toujours.

M. de Rémusat, jeune, luttait contre de semblables idées, et, toutes les fois que l’occasion s’en représente, nous le retrouvons qui lutte encore. Il n’admet pas que l’humanité soit dupe. Qui mieux que lui, avec sa finesse, sait pénétrer les préjugés et les travers de son temps, ceux de l’espèce même ? Il se fait assurément toutes les objections. Et pourtant