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américaine, qui avait ajouté 121,270,000 livres sterling (3 milliards de francs environ) au capital de la dette, la banque d’Angleterre, dont les coffres étaient presque vides[1], se vit obligée de réduire de moitié le montant de ses billets. Cette restriction subite infligea naturellement au commerce une gêne effrayante suivie de terribles catastrophes. La banque était au fond amenée à cette mesure moins par le désir de retenir l’or dans le royaume, en appliquant le principe de l’isolement, que par le soin de ses propres affaires. Inquiète sur elle-même au milieu de l’orage, elle jetait par-dessus le bord, pour alléger sa marche, les intérêts du commerce. Si on remue toutefois la masse des innombrables écrits publiés alors sur l’état des finances et sur la nécessité d’une réforme, on rencontre à chaque pas la pensée de retenir le numéraire dans le pays associée à celle de se débarrasser de la dette. Une dette de 6 à 7 milliards paraissait écrasante à un peuple qui devait un peu plus tard emprunter 600 millions sterling en vingt-deux ans (15 milliards de francs). L’opinion publique accueillait avec une faveur marquée tous les projets ayant pour but l’amortissement des obligations prises envers les rentiers de l’état. Comme la science du crédit en était encore à ses débuts, on ne s’étonnera point que de graves erreurs fussent accumulées dans des plans improvisés sous le coup d’une préoccupation passagère et visant pour la plupart à une bizarre originalité[2]. A peine y trouvait-on, au milieu des propositions les plus étranges, quelques vues justes sur les questions relatives à la valeur, aux billets de banque, à la relation du billet et de la monnaie ; mais ce dévergondage même des pamphlétaires attestait l’impérieux besoin de réorganiser le système financier. Les mesures de Pitt, élevé en 1783 au poste de premier ministre, eurent pour objet de donner satisfaction à ces exigences de l’opinion publique.

Dans un écrit publié récemment[3], on a rapproché de la politique commerciale de cet homme d’état les réformes accomplies par sir Robert Peel. L’auteur anonyme, en qui l’on a cru reconnaître un des membres les plus distingués du dernier ministère tory, avait voulu, à la veille des élections générales, présenter Peel et ses amis comme les continuateurs, en matière de liberté du commerce, de la pensée des chefs les plus illustres du torysme, et repousser loin des peelites le reproche d’avoir abandonné le drapeau du parti. Tout ce que l’histoire des soixante dernières années peut fournir d’argumens à cette thèse spécieuse a été réuni et classé avec une habileté rare. Plus politique qu’économique, l’écrit attribué à M. Gladstone se lie néanmoins à la crise actuelle, qui, au dire de plusieurs adversaires de sir Robert Peel, aurait été causée en partie par ses réformes commerciales. Quant au rapprochement entre Pitt et sir Robert Peel, que l’auteur a su justifier à quelques égards, il devient forcé dès qu’on arrive aux questions financières. Pitt fut non-seulement favorable à la liberté du commerce autant que l’autorisait son époque, il ne chercha point à restreindre la liberté

  1. En 1783, le trésor de la banque était tombé à 473,000 livres (11 millions de francs).
  2. Voici les titres, choisis entre cent autres, de quelques-uns de ces écrits : Moyen infaillible, d’après Machiavel, de nous débarrasser de nos dettes ; Moyen de payer la dette nationale en rapportant l’acte de mariage ; Pensées sur le paiement de la dette au moyen d’une loterie ; Plan pour payer la dette de la nation en trente années sans nouvelles taxes, etc.
  3. The commercial Policy o f Pitt and Peel.