Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/912

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Deux cents guerriers l’accompagnent. Que les blancs lui promettent leur appui pour brûler à son tour la maison de Banderas, et ses guerriers seront aussitôt rendus au Rancho que ces cavaliers qui vont partir.

Ce message, transmis à haute voix et en assez bon espagnol, fut accueilli avec un vif sentiment de satisfaction, car tout le monde connaissait la bravoure du rival de Banderas, et, à la veille d’une action décisive, ce renfort inespéré n’était pas à dédaigner. Ochoa accepta les offres de U’Sacame, et engagea sa parole et celle de ses compagnons qu’ils l’aideraient à tirer de son rival une éclatante vengeance.

— Maintenant, messieurs, s’écria Ochoa, en avant !

L’escadron se mit en marche, tandis que le messager indien coupait la route par un chemin de traverse pour aller rejoindre son chef. En ce moment, Casillas nous rejoignit aussi. Son cheval était haletant comme après une course rapide. — Mieux vaut tard que jamais, — dit Ochoa d’une voix railleuse. Casillas ne répondit rien.

Deux petites lieues séparent le Rancho de San-José de Guaymas de Guaymas même. La route parcourt, pendant près des trois quarts de cette distance, des plaines et des terrains calcaires, où les nopals et les cactus mêmes ne poussent que de loin en loin. La lune éclairait ces plaines désolées et silencieuses, les cactus allongeaient leurs grandes ombres sur cette terre blanche et nue qui n’avait pas d’écho pour répéter le bruit sourd des pas de nos chevaux. Ces landes furent promptement traversées ; mais, à peu de distance du Rancho, des bois d’arbres épineux bordent les deux côtés de la route. Il semblait qu’on apercevait dans l’obscurité des formes noires immobiles. Ochoa fit faire halte.

— Au galop, messieurs, dit-il à mi-voix, pour traverser ce défilé, et feu sur les deux flancs ! Puis il ajouta, d’une voix qui retentit dans le silence de la nuit : Santiago !

À ce mot, auquel les chevaux ont l’habitude de s’élancer, leur galop ébranla la terre, et notre escadron s’engagea résolument au milieu des bois. Des détonations répétées signalaient notre passage, mais pas un cri, pas un hurlement ne se fit entendre. Seulement, dans les momens de silence des armes à feu, une flèche traversait l’air en sifflant, un cheval se cabrait, un cavalier étouffait un gémissement de douleur. Puis des coups de feu retentissaient de nouveau, et des bruits de feuilles froissées, de branches brisées par la chute d’un corps, sortaient des fourrés ; nos chevaux poursuivaient leur course avec un cliquetis de mors impatiemment secoués, d’éperons retentissans, de fourreaux de fer heurtés les uns contre les autres. On aurait dit, au milieu de l’obscurité, un combat de fantômes.

En quelques minutes, nous eûmes franchi ce pas périlleux, qui aurait pu nous devenir funeste, s’il eût été occupé par la multitude des Indiens et non par un corps isolé. Une halte eut lieu dans la plaine. Quelques