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ordinaire. On doit, il est vrai, reconnaître que sous l’action de plus grandes masses de cavalerie on ferait sortir de la guerre des résultats plus positifs. On pourrait, à la suite des escadrons qui chargent, faire marcher de fortes réserves qui recueilleraient les blessés et empêcheraient que les flots d’Arabes, au milieu desquels notre petite phalange flotte quelquefois comme un vaisseau sur la mer, ne se refermassent derrière les assaillans comme pour les engloutir. Alors un corps de troupes pourrait sans imprudence, à l’aide de sa cavalerie, faire des mouvemens moins serrés, et soit pour poursuivre, soit pour surprendre l’ennemi, allonger pour ainsi dire le bras à une distance où maintenant il ne porterait pas ses coups sans se découvrir. Un autre avantage résulterait d’une grande augmentation de cavalerie : c’est qu’on pourrait en laisser toujours une partie au repos, et, par une heureuse disposition dans les tours de service, être constamment en mesure d’agir avec des chevaux frais. Mais, s’il est bon de rechercher et d’adopter les améliorations qui se présentent, il faut bien mesurer quelle en est la valeur, et ne pas se préparer de graves mécomptes en prenant le moyen par quoi seulement on détend le nœud de difficultés pour l’épée qui doit le trancher.

Un autre système qui, dans le public, a obtenu grande faveur, c’est celui de l’immobilité. Lorsque le feu de la rébellion s’allume quelque part, il s’éteindrait de lui-même, dit-on, sans le vent que nous faisons à l’entour en nous agitant pour l’éteindre. C’est parce que nous nous portons sur un point où quelques troubles insignifians se sont produits que les populations s’irritent, prennent les armes et se défendent. Il suffit de savoir comment l’insurrection naît, grandit, se propage avec une rapidité et une intensité proportionnelles à l’espace et à la liberté qu’on lui abandonne, comment au contraire elle décroît, s’amoindrit et se dissout à mesure que nos colonies s’en approchent, la circonscrivent et l’atteignent, pour ne pas accorder à de pareilles idées une sérieuse attention.

Veut-on dire que l’armée se charge en Afrique du rôle d’agent provocateur ? Croit-on de bonne foi que l’on s’amuse à remuer la cendre pour en faire sortir l’étincelle, puis la flamme, afin de se donner la joie de fouler et d’écraser le foyer ? Ceux qui de gaieté de cœur se livreraient à un pareil jeu ne seraient-ils pas les premiers à s’y brûler ?

Il est fâcheux, quand on se hasarde sur un terrain où s’agitent d’ardentes controverses, de n’avoir pas une idée unique, vive et nette, dont on puisse se servir comme d’un mors tranchant, pour arrêter court l’opinion. Il y a des hommes privilégiés qui au bout de chaque discussion ont un précepte tout arrangé, comme une fosse ouverte pour y précipiter et y enterrer la question ; une formule toute prête, comme un cachet pour sceller la pierre du tombeau. Pour moi, je comprends qu’on puisse donner sur les affaires de l’Afrique plusieurs conseils spéciaux ;