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l’était au vu et au su de tous ses compagnons, qui étaient par conséquent ses complices avérés. Mais ils étaient braves : plusieurs avaient servi contre les Français en Italie, contre les Turcs dans les parages du Levant ; ils avaient pris la résolution, facile à tenir aux Castillans de ce temps-là, d’être des héros ; ils se croyaient assurés de racheter leur faute par d’insignes exploits.

Naturellement, au moment où l’expédition avait mis à la voile, Cortez et ses compagnons jugeaient les populations mexicaines d’après les tribus sauvages de Saint-Domingue et de Cuba, race inoffensive et molle, sans industrie et sans vaillance, et même en débarquant à Saint-Jean-d’Ulloa, malgré la bravoure des hommes qu’ils avaient rencontrés dans le Yucatan, ils n’avaient pas entièrement secoué cette première illusion. Ils s’attendaient principalement à trouver beaucoup plus d’or et de richesses de tout genre. Sans doute en effet au Mexique il y avait de l’or, mais, ainsi que le disait le chef spartiate à l’envoyé du roi de Perse, il fallait venir le prendre. Or, pour cela ils n’étaient que 663 soldats et marins, dont seulement treize arquebusiers et trente-deux arbalétriers, avec dix pièces de canon et quatre fauconneaux. Le nombre de leurs chevaux n’était que de seize, et Dieu sait ce qu’il en avait coûté pour en réunir ce petit nombre[1]. Tout le reste était à pied, armé d’épées, de piques ou de masses. Tel était le résultat du dénombrement de ses forces que Cortez avait fait au cap Saint-Antoine, au moment du départ définitif de l’île de Cuba. Six cent soixante-trois hommes contre un empire !

Mais qu’était-ce donc que cet empire ?

Dans leurs rapports avec les gens de Tabasco, ce que Cortez et ses compagnons avaient recueilli sur le Mexique indiquait quelque chose à part dans le Nouveau-Monde, une nation dont l’opulence et la puissance n’avaient pas de bornes dans l’opinion de ces tribus, qui pourtant n’étaient pas étrangères aux élémens de la civilisation, car elles avaient de belles cultures et des villes. Les Aztèques (tel était le nom des Mexicains proprement dits) avaient porté leurs armes au loin jusqu’à des centaines de lieues de Tenochtitlan (aujourd’hui Mexico), leur capitale ; ils avaient fait de grandes conquêtes qu’ils avaient conservées, et répandu partout la terreur de leurs armes. Jusqu’à Guatimala, on reconnaissait leurs lois ou leur suprématie. Le nom de leur empereur,

  1. Les chevaux étant très rares alors à Cuba, Cortez les avait payés de 450 à 500 pesos de oro par tête, soit moyennement 475. La valeur du peso de oro, suivant M. Prescott, est de 64 fr., ce qui porte chaque bête à 30,400 fr.