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le gouvernement anglais ne doute pas que le cabinet russe n’arrête enfin une conduite si différente de la politique qu’il a déclaré suivre et si contraire aux intérêts d’un allié pour lequel il prétend avoir tant de bienveillance et d’amitié. »

Était-ce là seulement un de ces accès de violence par où les volontés faibles essaient de se tromper elles-mêmes en s’épuisant d’un seul coup ? C’était quelque chose de pire, c’était l’effet d’une politique encore plus abaissée ; c’était un emportement de commande qu’on se permettait après s’être assuré qu’il ne pouvait être dangereux. On imposait les prescriptions les plus timides au caractère déterminé de M’Neill ; on se targuait de faire porter par lord Durham un si rude message : c’est qu’on savait bien en quelles mains on le confiait. Lord Durham représentait l’Angleterre à Saint-Pétersbourg, du choix même de l’empereur. L’empereur avait refusé de recevoir sir Stratford Canning, contre lequel il gardait une rancune de dix ans, attestée par des menaces publiques ; il avait demandé au cabinet whig de lui envoyer pour ministre l’un des chefs du parti tory ; le vœu pouvait sembler indiscret ; on n’y résista point, et dans le temps même où la politique avouée de l’Angleterre était généralement contraire à la Russie, elle avait pour organe à Saint-Pétersbourg un homme que l’empereur comblait d’honneurs, chargeait de décorations et traitait en ami particulier. Un autre tory, lord Londonderry, visitant lord Durham à peu près à cette époque, le félicitait de l’intimité qu’il avait su maintenir pour sa part entre les deux gouvernemens, de la confiance qu’il avait donnée au czar, du bonheur avec lequel il le déshabituait de ses soupçons et de ses doutes à l’endroit de l’Angleterre[1]. C’était là d’ailleurs l’objet bien connu qu’il se proposait ; il venait de déclarer publiquement qu’il comptait « sur l’union de l’Angleterre et de la Russie pour maintenir la paix du monde[2]. » On comprend maintenant que lord Palmerston se plaignît avec tant d’audace ; il était sûr que cette audace inaccoutumée n’aurait pas d’écho. Ce qu’il y avait d’impérieux et d’agressif dans la dépêche du ministre whig allait singulièrement s’adoucir en passant par la bouche de l’ambassadeur tory. Lord Durham répond le 24 février :

« Conformément aux instructions de votre seigneurie, j’ai parlé au comte Neselrode de la façon d’agir du ministre russe en Perse ; son excellence m’a

  1. Recollections of a Tour in the north of Europe.
  2. Lettre de lord Durham à M. Gisborn, consul de sa majesté britannique à Saint-Péterbourg, 5 mai 1836.