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LIMOËLAN.

lui, et qu’il y pourrait tout à l’aise dessiner les paysages, qui sont fort beaux. Le commandant, sans être un méchant homme, dissimulait sous de gauches plaisanteries les motifs insidieux de cette décision. Hercule remarqua son air composé : il n’était plus le même que la veille, et surtout il reprit toute sa gravité quand il quitta le capitaine en lui souhaitant bon voyage.

Hercule partit le jour même avec la moitié de sa compagnie, et cette commission, qui le rapprochait du lieu de sa naissance, n’était point de nature à calmer le trouble où le jetait la vue de ce pays. La route qu’il suivait, il l’avait parcourue avec son père à la suite de l’armée vendéenne, dans l’expédition d’outre-Loire. Ces contrastes l’atteignaient partout. Il n’était point d’ailleurs sans inquiétude sur son expéditition et la démarche qu’il avait tentée auprès de ses chefs. Il craignait que le commandant n’eût mal compris sa répugnance et ne le tînt pour un lâche qui fuyait les occasions périlleuses ; puis tous les bruits qu’il recueillait sur le fameux masque noir lui prouvaient que son père se mêlait plus que jamais à cette guerre furieuse. Qui pouvait dire s’il ne lui était point réservé de le rencontrer encore sur le champ de bataille, s’il n’aurait point l’occasion de le sauver en quelque affreux péril ? Et quoi de mieux à faire, dans la défaite de ses illusions patriotiques, que de se dévouer pour son père, et d’expier ainsi leur fatale division ?

Souvent il consultait, en marchant, l’ordre qui lui commandait de se diriger sur certains points du cours de la Loire, et d’y stationner. Cet ordre tout à coup réveilla ses craintes, car on y désignait cette portion du pays comme le principal foyer des menées séditieuses dont il avait ouï parler ; mais il ne s’attendait pas à la profonde émotion dont il fut saisi le soir du second jour de marche, quand, parcourant, avec mille sentimens confus, ces bords de la Loire et ces paysages charmans si bien gravés dans sa mémoire, il découvrit tout à coup le grand chêne, un arbre immense, qui marquait, pour un homme connaissant le pays, l’endroit où était le château de Lagrange, éloigné tout au plus d’un quart de lieue au-delà du fleuve. À cette vue, son cœur battit à lui faire perdre haleine ; il sentit qu’il lui serait difficile, étant si près de ces lieux bien-aimés, de se retenir d’aller les voir une dernière fois, ne fût-ce que de loin. Rien ne semblait plus aisé, puisque, longeant la Loire avec son détachement, il dépendait de lui de s’arrêter où il voudrait entre Varades et Ancenis. Son père, d’ailleurs, guerroyant de l’autre côté de la Loire, il ne courait aucun risque de le rencontrer. Il commanda la halte à une demi-lieue de Varades,