Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le duc de Guise ; ils laissent également hors de doute la sincérité des sentimens affectueux qui entraînaient alors Charles IX vers l’amiral.

Ces dispositions publiquement manifestées alarmèrent Catherine ; un évènement soudain hâta sa résolution. Au coup de pistolet de Poltrot qui avait frappé son père, le duc de Guise répondit, selon les mœurs et les maximes du temps, par le coup d’arquebuse de Maurevert. Au moment où Coligny revenait du Louvre à son hôtel, il fut blessé au bras de trois balles par l’assassin le plus expert de l’époque, homme fort connu et fort accrédité, auquel diverses expéditions entreprises par ordre de la cour avaient mérité le surnom quasi officiel de tueur du roi. Cet incident contraignit à prendre un parti décisif, car on était placé dans l’alternative, ou d’arrêter immédiatement tous les princes de Lorraine, ou de voir se soulever tous les amis de l’amiral qui réclamaient avec lui une vengeance juridique. Livrer les Guise à la justice, c’était se séparer à jamais de Catherine et commencer un procès qu’on n’aurait pas eu la force de conduire jusqu’au bout ; laisser les huguenots courir aux armes pour se faire justice, c’était voir recommencer la guerre civile en abdiquant dès l’origine toute action et toute autorité.

Catherine se crut donc arrivée à l’heure suprême de sa vie, et résolut d’atteindre en un seul jour, par son audace, le but qui depuis douze années échappait toujours à sa souplesse et à son habileté. Machiavel avait dit : « La cruauté est bien employée lorsqu’elle ne s’exerce qu’une seule fois et qu’elle est dictée par la nécessité de s’assurer la puissance… Il faut commettre en une seule fois toutes les cruautés nécessaires pour n’avoir plus à y revenir… Les offenses doivent être faites toutes ensemble, afin qu’ayant moins de temps pour les ressentir, elles blessent moins, tandis que les bienfaits doivent se verser petit à petit, afin qu’on les savoure davantage[1]. »

Ces maximes étaient celles du temps ; elles passaient, comme les idées encyclopédiques au XVIIIe siècle, pour la doctrine des grands esprits et la nourriture des fortes ames : quoi d’étonnant si Catherine en subit l’influence, et si, pressée de prendre un parti, elle en essaya la sanglante application ? Le roi subit une dernière fois l’ascendant de sa mère. Circonvenu par quelques gentilshommes dévoués à Catherine, il reçut avec des détails multipliés et odieusement vraisemblables la confidence d’un complot tramé par les huguenots contre sa vie ; il comprit

  1. Il Principe, cap. VIII. De quelli cite per scelleratezza sono pervenuti al principato.